Un Jour Radieux Ft Ryotaro

La cloche retentit dans le dortoir, tout comme dans l’ensemble des bâtiments. Ryotaro ouvrit difficilement les yeux, simplement heureux d’être dans le confort de sa chambre avec le chauffage réglé au plus haut et l’épaisse couette sur lui. S’il pouvait, il resterait là toute la journée. Rien ne l’en empêchait après tout, c’était le début du week-end, il n’avait pas cours.

Son seul regret était de n’avoir pas encore pu trouver un travail à temps partiel chez un fleuriste malgré ses connaissances. Sa mère, soucieuse, lui avait fait promettre de ne pas se surmener comme il l’avait fait par le passé. Elle allait bien et n’avait pas besoin que son fils se tue à la tâche, ni qu’il mette en péril sa santé et ses études pour l’aider. Il voulait simplement le faire pour lui, pour ne pas avoir à dépendre de sa mère par la suite et, si possible, mettre un peu de côté pour ses débuts en tant que héros.

Ryotaro se projetait déjà assez loin, conscient des risques du métier et de la “taxe” à l’entrée, s’il n’était pas appelé, il n’aurait pas les moyens nécessaires pour vivre indépendamment et n’aurait aucune marge de manoeuvre au sein de l’agence de Yuei malgré une situation assez stable en sortie d’étude.

Il grogna un peu en émergeant de son demi-sommeil présent. Il quitta la moiteur de son lit pour l’extérieur. Bien qu’il n’aimait pas le froid, il se fit un devoir d’ouvrir les fenêtres pour aérer un peu, chaleur et Alter ne faisait pas bon ménage et même lui pouvait parfois être incommodé par l'odeur de celui-ci quand il ne faisait pas attention.

La journée était belle.

"Morisaki Ryotaro, une annonce pour vous."

La voix s’était répercutée sur les murs jusqu’à lui. Le garçon resta un instant en suspens à regarder l’extérieur. Ce genre de notification ne pouvait venir que d’un seul émetteur. Bien qu’il ne connaissait pas l’expéditeur, la missive était assez claire.

Cher Morisaki Ryotaro,

Dans le cadre de la réglementation sur les Altérités, dits Alters, vous êtes classés dans la catégorie alarmante.
Cette catégorie implique de nombreuses contraintes afin d’assurer la sécurité de tous.

Le blabla habituel, il souffla un peu en faisant défiler le texte sur son téléphone. Il savait où allait commencer la partie intéressante, celle où on lui demandait quelque chose.

En ce sens, après étude de votre dossier et afin de simplifier votre utilisation durant le temps de vos études, nous vous demandons de vous munir d’un outil pour avoir un suivi de votre température.

Vraiment ?

Veuillez trouver ci-jointe, une liste des équipementiers basée sur les spécificités de votre Alter ainsi que leurs localisations. Vous trouverez également un courrier officiel à transmettre au fabricant que vous aurez choisi pour que la facture soit envoyée à notre service.

Le garçon se demanda où tout ceci allait s’arrêter, mais au moins pour cette fois, la note était claire, c’était uniquement pour la durée de ces études. Sans doute le temps d’être sûr qu’il maîtrise vraiment bien son Alter.

Il cliqua machinalement sur l’un des premiers ateliers qu’on lui proposait, sans vraiment réfléchir.

Atelier Takagi.

Il se prépara rapidement, voulant expédier le plus vite possible cette besogne pour profiter du reste de la journée et faire le tour des fleuristes dans l’espoir de trouver un petit job pour les fêtes de fin d’année.

Ryotaro arriva devant l’échoppe du fabricant, trouvant porte close avec un écriteau.

"Vous cherchez Tomeo ? Il doit être vers Roppongi à l’heure qu’il est, un grand gaillard, vous pourrez pas le louper !
- Ah… Merci !"

Le lycéen n’avait rien demandé, mais visiblement son visage avait suffit à ce que ce vieux monsieur lui vienne en aide. Il rebroussa chemin, nouvelle route, nouveau transport en commun, nouvelle destination. Après tout, avait-il vraiment besoin d’être dans l’atelier pour faire sa demande ? Puis, plus vite il l’aurait expédié, plus vite il retournerait au chaud. Il regrettait presque d’avoir seulement une surcouche avec cet épais manteau, cette écharpe et ce bonnet.

Il sortit du tramway. Il entendit alors un éclat de voix tonitruant. Il n’y aurait pas prêté attention si ses oreilles n’avaient pas été accrochées sur le nom du lieu. L’étudiant chercha alors du regard d’où venait cette voix. Il aperçut une silhouette dépassant d’une bonne tête la foule. De dos, il correspondait à la description qu’on lui avait faite.

Ryotaro se lança à sa poursuite. Il tomba sur l’homme dans un parc. Un peu haletant.

"Bon… Bonjour !"

Il reprit un peu sa contenance. En effet, c’était assez étrange de se lancer comme ça à la poursuite de quelqu’un.

"Je… J’ai besoin de vous. Enfin, on m’a demandé de… J’aurais besoin d’un équipement un peu spécial, je crois !"

Il y eut un petit moment de flottement avant que l’artisan face à lui finisse sa bouchée et qu’il affiche un grand sourire. Ça avait eu le donc de calmer un peu Ryotaro et de lui laisser le temps de reprendre son souffle. L’homme face à lui semblait apprécier de laisser le temps passer, sans urgence. Il avait pris une gorgée de son soda en semblant l’apprécier comme un fin nectar puis il invita le lycéen à s’installer sur son banc. Il avait bien trouvé la personne qu’il cherchait.

Ryo ne se fit pas prier plus que ça et prit place. Le duo devait détonner dans la masse des badauds qui passait par le parc. Leurs statures de grande taille les faisant invariablement remarqués, même assis. Le garçon s’appuya contre le dossier, de petites trainées noires s’élevaient de sa bouche en se mêlant au reste de son souffle chaud rencontrant l’air frais.

"Merci."

L’invitation à boire un peu dans la canette lui fit plaisir, un peu gêné, il accepta la boisson offerte. Prit une petite gorgée alors que Toméo commençait à lui expliquer les différentes choses qu’il y aurait à faire. L’enfant d’Osaka n’en avait pas la moindre idée. La prochaine fois, peut-être qu’il lira l’ensemble de l’email que le service de régulation lui enverrait. Néanmoins, c’était toujours plus appréciable de l’entendre de vive voix plutôt que dans un écrit officiel et lourd.

Évoquant l’attestation, Ryotaro mis les mains dans les poches à la recherche du contact froid de son téléphone. Attentif à ce que lui disait son aîné, le garçon acquiesça. L’idée de devoir parler de lui l'inconfortait un peu, mais il comprenait la démarche. L’homme à ses côtés était sûr de lui et plus que ça, on sentait qu’il avait acquis cette confiance en lui à force d’expérience. Il profitait de l’occasion pour la transmettre à son tour.

Une étape fun ?

Pour le garçon, ça devait être le cas quand il s’agissait d’un véritable équipement héroïque, dans le cas présent il s’agissait de toute autre chose, juste un outil supplémentaire pour qu’on puisse le surveiller et lui permettre de poursuivre son apprentissage héroïque de façon plus libre.

Les étapes bureaucratiques étaient plutôt barbantes, mais logiques. Les deux parties ne voulaient pas être lésées, surtout qu’avec Ryotaro au milieu ce n’est pas lui qui allait réparer les pots cassés. Il sentait qu’on arrivait vers la fin, aussi le lycéen ayant retrouvé son souffle changea un peu de position, plus pensif, il appuya ses coudes sur ses cuisses et s’en servit de support pour son menton, les yeux dans le vague. Il se projetait.

Il se projetait au jour où il serait un vrai héros en droit d’aider les autres sans avoir de compte à rendre. Il imaginait des équipements qui lui permettraient d’être le plus efficace possible compte tenu de son Alter. L’image qui lui vint fût d’abord de trouver quelque chose qui lui permettrait de compenser sa vitesse une fois transformer pour faciliter les interventions. Il ne pouvait pas compter sur des ailes ou autre après tout.

Un tandem ? L’idée était bonne, après tout, avoir un binôme qui le connaîtrait lui permettrait de faire de meilleurs ajustements rapidement. Mais cela signifiait s’ouvrir un peu. À l’invitation du forgeron, l’étudiant commença à sortir son téléphone quand les mots “petite copine” le heurtèrent. Ryotaro rougit instantanément, une odeur de soufre s’éleva rapidement avant qu’il réussisse à se contenir et qu’il évite de détruire l’ensemble de ses vêtements.

"Je… J’en ai pas…"

Il ne savait plus trop où se mettre, d’autant plus gêné par l’odeur qui se dégageait de lui. Sa maitrise lui permettait d’avoir un certain contrôle, mais il n’avait suivi un entrainement que pour éviter d’être totalement hors de contrôle sur son Alter dans des situations de stress, ce genre de surprise parvenait toujours à le désarçonner.

"Désolé… Pour le… Pour l’odeur. C’est mon Alter justement, enfin…"

Il lui expliqua tout en sortant son téléphone et en laissant Toméo parcourir le contenu de la demande gouvernementale. Son Alter avait été classé dès son apparition comme étant avec un niveau de dangerosité très élevait, heureusement sa famille l’avait entouré et ils étaient habitués. Ryotaro pensa rapidement à son père, mais choisit d’éluder un peu cette partie, le regard un peu nostalgique. Il parla de son Alter, de sa capacité à recouvrir son corps d’une épaisse couche de roche ignée et, sous cette croûte, du magma liquide attendant de s’échapper.

Il continua son petit monologue son intérêt assez relatif pour le sport, bien qu’il ait pris sur lui pour s’améliorer de ce point de vue là afin d’être un héros convenable. Il aimait manger, il aimait les vêtements chauds.

"Et les fleurs, j’aime beaucoup les fleurs."

Il marqua une petite pause, mais choisit d’embrayer directement ensuite. Il avait été sélectionné par Yuei dans son cursus héroïque voilà quelques mois et aujourd’hui il venait à la rencontre du fabricant pour faire un équipement de suivi de sa température, la subtilité étant que cet équipement devrait supporter les températures hors norme que pouvait émettre le futur héros volcanique. Dans la forme, peu importe, il devait juste pouvoir le porter toujours sur lui.

"C’est dans vos cordes ?"

Surpris d’avoir autant parlé, il replongea un peu dans le mutisme, fixant un vague point face à lui dans le parc.

Le lycéen releva un peu la tête au moment où le forgeron prit ses excuses pour l’odeur et déclara ne pas s’en incommoder. Il l’avait bien vu au fur et à mesure de l’échange devenir plus sérieux, parfois comme s’il marmonnait ou que ses yeux se perdaient dans des schémas mentaux qu’il était en train de concevoir de toute pièce, de faire des ajustements, etc.

C’est un pro.

Ryo était content d’avoir laissé le hasard faire le choix du prestataire, parfois il faisait bien les choses. L’attitude générale de l’artisan le laissait deviner que, malgré son côté brut de coffre, il savait ce qu’il faisait. Son sourire venait confirmer ce que le futur héros pensait.

L’homme avec lui avait déjà un créneau de disponible rapidement. Cela remettait un peu en question le programme que le garçon s’était fixé, mais la priorité était de se mettre rapidement en règle, au diable les fleurs pour aujourd’hui. Bien qu’avec un peu de chance, s’il donnait rapidement satisfaction à Toméo il aurait encore le temps d’explorer le quartier et d’aller à la rencontre de quelques commerces. Ryotaro eut un demi-sourire, à voir dans quelle moyenne des “utilisateurs de feu” il se situait.

Il laissa le forgeron avancer vers la fin de son repas tranquillement, se réfugiant un peu dans le col de son épais manteau pour lutter contre le froid gagnant son affrontement avec le soleil.

"Ok, oui je suis dispo là !"

L’homme se leva, effectivement il était immense, même pour Ryotaro. Ils se mirent tous deux à marcher vers l’atelier au détour d’une rue. Le jeune volcan repensa au fait que le forgeron voulait voir la température maximale qu’il pouvait atteindre. Il réfléchissait à la question en même temps qu’il avançait, après tout, ces derniers tests remontent à son épreuve pour intégrer Yuei. Avait-il fait des progrès de ce point de vue là ?

"Je… Quand vous parlez de la température, avez- vous avez un endroit assez sûr pour essayer ? Je voudrais voir où j’en suis..."

L’idéal étant de ne pas faire entrer en combustion un atelier ni de risquer de détériorer le matériel sensible du créateur d’équipement. S’il n’aimait pas se comparer aux autres, c’était toujours pertinent pour lui de savoir s’il s’était déjà amélioré ou non.

Les pas du géant ralentirent alors qu’ils approchaient de sa bâtisse. Le duo de grande taille était face à la forge. Le vieil homme qui était à côté était toujours là, vacant à ses occupations et souriant à Ryotaro, adressant un petit salut de la main. Simplement heureux de l’avoir aidé à trouver celui qu’il cherchait. Poli, le garçon lui rendit son salut avec un petit sourire.

Plan B donc, Ryotaro était content d’avoir posé la question. Il ne doutait pas que l’atelier de Tomeo pourrait résister à un jeune étudiant de première année, mais mieux valait prévenir que guérir ! Il le vit pianoter sur son téléphone rapidement, un sourire s’étirant peu à peu sur son visage.

"Le foot euh…"

Voilà donc la raison du sourire et des échanges mystérieux via messagerie. Le lycéen était surpris de voir que le forgeron pouvait carrément réserver un stade olympique. Qui était-il ? Ou plutôt qui connaissait-il ? Toujours un peu sous le choc de voir à quelle vitesse ça avait été. Ryotaro se ressaisit un peu alors que le propriétaire des lieux adressait aussi un signe au vieil homme qui semblait comme planté là depuis l’éternité et pour encore longtemps.

Le bruit de la clochette le fit revenir à lui alors que l’artisan rentrait dans son commerce. Le lycéen le suivit à son tour, découvrant un intérieur rustique et chaleureux. Le propriétaire avançait vers son arrière-boutique, juste le temps de l’inviter à prendre une pâtisserie et surtout de rassurer un peu le garçon.

Il avait toujours la possibilité de s’échapper de là, mais l’adulte avait raison, aussitôt ce serait fait, le mieux ce serait. Sa seule crainte et gêne, c’était de devoir mobiliser autant de monde pour ça. Son seul souhait, c’était de réussir à maîtriser son Alter afin d’éviter ça, d’éviter que les gens doivent faire attention quand ils sont autour de lui.

"Non, c’est la bonne chose à faire…"

Le géant le laissa là seul, à pouvoir observer la décoration spartiate du lieu. Il passa la main sur l’établi dont le bois semblait avoir été poncé par le temps, creusant des cavités avec le temps là où le forgeron posait ses coudes et ses bras sur cette table à dessin.

Cette boutique respirait l’histoire, on sentait qu’elle s’était adaptée à l’air du temps, mais qu’elle était issue d’une longue tradition et que son évolution s’était faite lentement, sans à-coup et sans traumatisme, pour préserver son âme. Le lieu plaisait vraiment à Ryotaro alors qu’il saisissait sans s’en rendre compte un gâteau qu’il porta à sa bouche, sentant la chatouille de la chantilly sur son nez qu’il n’avait pas remarqué.

Il s’essuya rapidement avant de continuer à grignoter en faisant les cent pas dans la partie ouverte au public, alors qu’il entendait de grands bruits dans l’arrière-boutique ouverte. Toméo revint au bout de quelques minutes, un immense sac faisant un sacré tintamarre avec lui. Un véhicule devait arriver d’après ses dires. Ryo acquiesça rapidement, la bouche encore pleine alors que son compagnon se servait aussi l’une de ses réalisations. Ils n’avaient que ça à faire en attendant le taxi.

C’est alors que la clochette sonna, dans le même temps Ryotaro se tourna pour voir le nouvel entrant pour le saluer et laissa la place pour que le propriétaire des lieux puisse faire son travail.

"Non, pas de souci c’est normal."

Il offrit son sourire poli alors que la tension commençait à monter en lui alors que le taxi devait approcher. Le lycéen imaginait le dispositif qui se mettait en place au stade olympique, aux moyens déployés juste pour qu’il puisse tester son Alter.

Il déglutit alors que le forgeron divaguait sur les fleurs. Ryotaro s’y accrocha comme à une bouée de sauvetage.

"Hum… Essayez les cactus, la température de la forge ne les dérangera pas…"

Il entendit un bruit de moteur puis deux coups de klaxon. Le lycéen jeta un œil vers le forgeron en soufflant avant d’afficher enfin un regard plus confiant maintenant qu'il était dos au mur.

"On y va ?"

Le natif d’Osaka saisit l’une des sangles du sac d’outils de l’artisan pour l’aider à le porter, amorçant le mouvement.

Le garçon eut un petit mouvement de tension imperceptible. Il n’avait donc pas bien évaluer son interlocuteur. Il aurait pourtant parié sur le côté exotique et facile d’entretien de cette plante qui pouvait laisser apparaitre des fleurs colorées à certaines périodes. L’habit de faisait pas le moine et l’étudiant laissa transparaitre une fraction de seconde sa surprise fasse à la déclaration du forgeron.

Des Arthuriums peut-être ou des Guzmania…

Il évita de le dire à voix haute de peur de se tromper à nouveau. Peut-être qu’il aurait le temps de creuser un peu pour proposer quelque chose qui plairait au forgeron. C’était l’une de ses marottes, un côté enquêteur sans doute. Il aimait trouver les réponses.

Mettant cette idée de côté, ils commencèrent tous deux à tracter le sac assez facilement. Ryotaro soupçonnait Toméo de prendre le plus de poids possible de son côté tout en restant impassible. Ils balancèrent le sac ensemble et Ryotaro prit la place à l’avant qu’on lui invitait à occuper. Tant mieux, ça donnerait l’occasion au garçon de découvrir un peu plus sa nouvelle ville d’étude.

Il faisait confiance au forgeron pour faire la discussion avec le chauffeur alors qu’il se servait de la portière comme d’un accoudoir, la vitre fermée reflétant son visage neutre. L’artisan continuait à s’étonner que le temps soit si clément en cette période hivernale. Le garçon sourit de ce gimmick pour briser la glace.

L’étudiant se laissa bercé par les voix profondes et enjouées des deux adultes en regardant les buildings autour de lui s’effacer peu à peu à mesure qu’ils avançaient vers les installations sportives qui avaient été construites partout autour de la capitale japonaise pour les Jeux olympiques.

Cette compétition mondiale avait depuis longtemps laissé place à des affrontements entre pays avec des Alters. Le but restait bien entendu le même, monter le meilleur programme sportif possible avec des entrainements adaptés aux individus et aux Altérités pour gagner les épreuves en l’honneur de leurs pays. Le Japon avait manqué la dernière édition et ça devrait être la même chose pour les prochaines éditions, le repli insulaire avait aussi cet effet sur la représentation du pays à travers le sport.

Au détour d’un énième immeuble. L’horizon se dégagea laissant place à des dômes de métal couverts dont un central et massif, le stadium dédié au football et aux épreuves de vitesse. Ils s’arrêtèrent devant l’entrée des bus des sportifs, sous une arcade derrière le stade.

Instantanément, un homme qui faisait à peu près la taille de Ryotaro apparut. Ils se saluèrent rapidement lui et Toméo. Ça devait donc être le contact avec lequel il avait échangé, il découvrit comme ça que le nom du gardien des lieux était Hiro. S’il l’avait croisé dans la rue, le lycéen se demande s’il ne l’aurait pas pris pour un quelconque voyou. La main massive du forgeron vint se poser sur son crâne. Le contact était assez brut et un peu infantilisant, Ryo souffla légèrement. Il y avait quand même un côté assez fraternel et protecteur dans le geste.

L’artisan en profita pour lui en dire un peu plus sur sa singularité. C’était assez obscur pour l’étudiant, est-ce que ça voulait dire que l’homme était bloqué à son âge ? Était-il immortel ? Le lycéen n’eut pas le luxe de poser la question pour avoir des précisions que le responsable de leur accueil commença à échanger avec lui. Il avait le même ton rassurant que Toméo, sans s’en rendre compte, ça permettait à l’étudiant de se rassurer un peu, il sentait que les gens autour de lui avaient la situation bien en main.

Sans s’en rendre compte, le garçon se fit inviter pour après le test. À moins que Toméo et Hiro parlent d’un autre Ryo que lui, le surnom était courant. Le géant ne laissa pas l’occasion au futur héros de l’aider cette fois pour transporter le sac, le basculant sur son dos. Ryotaro un peu penaud, mis les mains dans ses poches en suivant son partenaire du jour, montant l’escalier qui s’ouvrait vers la lumière.

Ils émergèrent à l’entrée de la pelouse, Ryotaro sentait le sol terreux et mou sous ses chaussures. Qu’il était étrange de se rendre compte de cette sensation, ses pas trop habitués au béton de la ville.

C’est alors qu’il leva la tête, suivant les mots de Toméo. Le lieu était… imposant et assez écrasant pour le garçon. Les gradins vides donnant l’impression d’un lieu fantôme, laissé à l’abandon depuis des années. Néanmoins, il ne doutait pas que la clameur de la foule pouvait illuminer ce lieu et le rendre beaucoup plus chaleureux pour les joueurs à domicile, mais mettre une pression aux joueurs adverses.

Le forgeron commença à se préparer en se recouvrant d’une nouvelle couche de protection thermique. À l’inverse, Ryotaro lui, se posa dans l’abri où se mettent les coachs et les remplaçants, commençant à enlever son manteau. Toméo n’avait même pas besoin d’aller plus loin dans les explications, l’étudiant le croyait.

"Je vais tout enlever, si je veux aller à fond je vais devoir aussi bruler à… ce niveau-là."

Il était gêné et, malgré le beau temps, il sentait bien le froid mordant chaque parcelle de peau découverte. Plus vite ils commenceraient, plus vite il pourrait se rhabiller. Le garçon amena son tas d’affaires près du reste de l’équipement, protégeant ses parties intimes avec ces mains. Face à ce genre de situation, le garçon préféra ne pas parler. Il se rapprocha du centre terrain pour se mettre au milieu de l’herbe. Il regarda le forgeron et hocha la tête pour lui dire qu’il était prêt.

"J’y vais!"

L’étudiant ferma ses yeux, essayant de faire abstraction de tout, du regard des gens qui devaient être autour et qu’il n’avait pu que deviner, ils étaient prêts à intervenir. Cette réflexion lui fit faire un faux départ. Seules ses phalanges commencèrent à noircir.

Deuxième essai, cette fois-ci Ryotaro sentait que c’était mieux, littéralement car les bouffées de soufre étaient bien présentes. Il ouvrit les yeux, regardant sa main et son bras noir à mesure que sa peau se recouvrait de roche ignée peu à peu. Ses yeux de lave étaient tels des joyaux brillants sur un corps d’obsidienne. Sous cette couche de roche, la lave coulait et battait au rythme de son cœur. C’est à ce moment-là qu’il commença à voir la dizaine de personnes autour de la pelouse, ils étaient prêts à intervenir.

Le garçon respira une pleine goulée d’air, ce mouvement, ces poumons qui se remplissent, fit craquer la couche de roche sur son torse. La lave apparue sous les craquelures. Sous cette forme, le garçon avait moins de pudeur, la fumée, la lave et, au final, il se disait que les gens voyaient simplement de la roche. Il commença à bouger, à s’étirer, à craquer ses membres, tout ça dans le but de faire ressortir le maximum de lave, que toute la chaleur emmagasinée sorte de son corps. Il expira, relâchant un épais nuage de fumée noire autour de lui, la lumière que son corps émettait perçant à peine cette épaisse purée de pois pour les observateurs autour de lui.

Autour de lui, un cercle de terre brulée se formait. Là où les goutes de laves tombaient, des flammèches s’allumaient. Le jeune volcan humanoïde regarda dans la direction du forgeron pour voir si c’était bon pour lui pour commencer à prendre les mesures. Il lui était plus difficile de communiquer sous le coup de la concentration dont il faisait preuve pour essayer de monter au maximum sa chaleur corporelle.

Plus chaud…

Le jeune garçon donnait le maximum qu’il pouvait faisant abstraction de son environnement en sachant qu’il était entouré. Il avait accepté de se laisser porter par son Alter si dangereux, de relâcher toutes les brides. Quitte à perdre le contrôle.

Il s’enfonçait dans le magma, réagissant à l’instinct, cherchant uniquement à pousser son corps plus loin dans le processus, lâchant au passage des quantités de lave qu’il n’avait plus sécrétée depuis longtemps, depuis les premières colères, la peur à l’apparition de son Alter. Depuis la tristesse de la perte d’un père.

Ajoutant encore à ce liquide visqueux coulant de ses craquelures, les larmes se perdirent sur son visage, ne faisant que rajouter encore leurs petites gouttes à ce que le garçon rejetait.

Avait-il vraiment besoin d’y penser maintenant ? Est-ce que ça allait être ça son carburant pour avancer ? La rage du volcan face à la turpitude du destin ? Sa vision se troublait, seul dans ce noir rougeoyant et mouvant. Seul au monde dans un océan de lave.

La désolation autour de lui, cherchant maintenant à minimiser les mouvements pour maintenir cette forme sans flancher, les scories refroidissantent autour de lui. Il perçut soudain la lumière, depuis combien de temps attendait-il là ? Il ne savait plus, sentant pourtant qu’il commençait à devoir chercher son souffle pour respirer, ne faisant qu’accentuer le nuage noir autour de lui.

La main protégée apparue en premier, puis l’ensemble d’un corps sous une chape ignifugée.

"Mr. Takagi ?"

Les mots étaient lents à sortir. L’homme lui fit comprendre d’un geste de rester en place et de ne plus bouger. Il pointa quelque chose vers lui. Ryotaro devenait de moins en moins lucide, mais il obtempérant, ne sachant plus très bien où il était.

Il essayant de maintenir au maximum la transformation, projetant ses pensées le plus loin possible de lui, hors de son corps, cherchant à atteindre le bout du monde. Il espérait que ça permettrait de se faire une idée de son potentiel maximum.

Le jeune volcan haletait maintenant, l’homme face à lui était un peu flou, un peu rouge, comme si un filtre était apparu devant les yeux du lycéen. Un nouveau geste, c’était terminé.

Ryotaro relâcha tout, se sentant un peu défaillir. Il tituba à mesure que la transformation disparaissait, les craquelures se refermant peu à peu, le rougeoiement s’affaiblissant.

À mesure qu’il avançait, son esprit redevenait lucide alors que son corps lui répondait de moins en moins. Un pas à gauche. Il était dans le nuage de fumée volcanique qu’il avait créé, il commençait lui-même à sentir le picotement caractéristique que cette vapeur provoquait dans ses yeux. Un balancement à droite. Autour de lui, la lave commençait à se faire plus rare se solidifiant en même temps que lui revenait à la normale, sa transformation n’étant plus présente sur son torse, il sentait la chaleur, mais de façon réconfortante pour lui alors que son corps retrouvait peu à peu une température normale.

Toméo était en face de lui. Ryo ne comprenait pas bien ce qu’il lui disait, il tenta de lui sourire en levant sa main pour pointer son pouce vers le ciel. Sa respiration faisait des à-coups. À l’instant où son corps était revenu à la normale, où ses orteils redevinrent roses plutôt que noir, il s’effondra sur ses genoux, les bras ballants, le visage tourné vers le ciel, cherchant à faire rentrer un air frais dans ses poumons.