"Excusez-moi d'interrompre le cours, Ryotaro peut-il m'accompagner ?"

Il s’en souvenait clairement un an après. Le cours de Ryo avait été interrompu par un policier qui lui avait demandé de le suivre. C’était seulement quelques jours après la rentrée. Il se rappellerait toujours des regards de ses camarades qui l’avaient suivi jusqu’à la sorte de la classe. Le policier lui avait demandé de le suivre. Le garçon n’avait pas prévu de faire d’histoire. Il avait été escorté jusqu’à une voiture de police et amené au poste.

Face à lui s’était alors dressé l’inspecteur qui avait toujours accompagné son père.

"Bonjour Ryotaro, je… Je suis vraiment désolé …"


Ryotaro est le fils d’Éruption, un héros local d’Osaka. Il a vécu toute son enfance dans la ville portuaire, bercé par les exploits de son père et protégé par sa mère. À l’éveil de son Alter, les parents comprirent que leur fils avait développé une variation de celui de son père. Si Eruption peut cracher de la lave tel un volcan et la faire se solidifier presque instantanément, son fils est le volcan en lui-même. Au moins, les parents savaient à quoi s’attendre et avaient tout l’équipement nécessaire pour éviter que leur enfant détruise leur appartement avec de la lave sur les craquements de sa peau si son Alter s’active et qu’il pleure…

Son enfance, elle avait été assez proche des lumières, son père étant un vrai héros du coin. Il arrivait régulièrement à l’enfant de voir des caméras des télés locales devant chez lui. Loin d’être effrayé, il désirait plus que tout faire comme son père, devenir un héros aimé de tous et qui devait protéger sa ville. Le garçon avait déjà embrassé cette volonté au jardin d’enfants, toujours avec la volonté de protéger les plus faibles qui n’avaient pas encore d’Alter ou que des petites frappes plus âgées essayaient de chahuter.

L'inspecteur sourit, certainement se remémorait-il le moment où il avait croisé Ryotaro pour la première fois. Il n'était alors que policier et il accompagnait Eruption jusqu'à son bureau. L'enfant avait accouru vers son père en le voyant passer près de son école. Il se jeta dans ses bras, couvert de terre parce qu'il avait: "défendu Kenta parce que les autres se moquaient de sa mutation." Son père l'avait alors félicité et l'enfant riait, alors que son géniteur le lançait en l'air.

Oui, Ryo avait pu grandir dans ce cadre aimant, attirant les autres autour de lui, il avait souvent un cercle d’amis autour de lui et parvenait à se faire remarquer en classe avec ses résultats.


"Tu sais ce qu’y est arrivé ton père hein ?
- Oui. J’ai eu le temps de voir les informations sur la route…"

Le garçon serra le poing, une larme coula sur sa joue. Dans cette ère où la technologie et les moyens de communication sont toujours plus développés, Ryotaro avait eu le temps en effet. Le temps de savoir que son père avait péri dans une intervention où il n’était pas censé être. Il avait été la seule victime, d’autres s’en étaient sortis indemnes ou avec seulement des blessures sans gravité. Il était mort sous les gravats, en ne pouvant résister à l’appel de détresse qu’on adresse aux héros, presque trois ans après la Trahison.
Il avait eu le temps d’apprendre la nouvelle, mais il n’avait pas encore eu le temps de l’encaisser. Peut-être qu’il n’aurait jamais vraiment le temps.

Ryotaro n’ouvrit pas la bouche des minutes qui suivirent alors, sauf pour demander plus de détails sur le déroulé des événements. Pas par curiosité morbide, mais seulement parce qu’il avait besoin de comprendre.

C’était donc arrivé ce matin, son père était sur le chemin du travail à en croire sa tenue. Un incendie d’origine inconnu, la police penchant pour l’accident, s’était déclaré sur la route. Il se rapprochait des docks, des quartiers sensibles et pauvres. En arrivant à la hauteur de l’immeuble, le père de Ryotaro avait eu un haut-le-cœur. Les flammes dévoraient la structure depuis les étages inférieurs, des habitants criaient et pleuraient, appelant à l’aide. Et le père savait, il savait qu’aujourd’hui trois ans après, aucun héros ne serait là à temps. Il savait qu’il n’y avait que lui.

Il avait demandé aux badauds de l’aider, d’aller lui chercher de l’eau. Il enfila son casque, seul vestige de son époque héroïque lui permettant d’avoir un contrôle précis de la lave s’échappant de sa bouche. Il se fit asperger d’eau et avança dans le bâtiment dangereux.

Les détails suivants proviennent surtout des victimes et des constatations des légistes. Éruption s’était servi de son Alter afin de progresser dans le bâtiment, de créer des marches de lave durcies là où les escaliers étaient tombés, de libérer des passages à travers des murs des étages et de consolidait comme il le pouvait certains autres pans de murs.

Épuisé, soufflant dans son masque brouillant sa vue de buée, il était quasiment à la sortie avec les derniers rescapés devant lui quand ça arriva. Manquant d’attention et de force, il vacilla sur un mur qui s’écroula sur lui. Comme ça, en un claquement de doigts. Confus, ses derniers mots furent pour les habitants de l’immeuble qui s’étaient retournés pour l’aider. Sortez. Il tomba dans l’abime alors que l’immeuble s’écroulait autour de lui.

"Je suis désolé mon garçon… On va te raccompagner chez toi. Ta mère t’attend."


Il ouvrit la portière et quitta l’habitacle. En refermant celle-ci, la voiture démarra et le laissa là, devant la porte de l’immeuble dans lequel il vivait.

Son père était mort en héros. Après la Trahison, il avait fait le choix de prendre sa retraite, de raccrocher sa cape, pour sortir du tourbillon médiatique, du traumatisme de Kawasaki. Les suspicions sur les héros le faisaient craindre pour sa femme et son fils. La boule au ventre et l’envie de vomir lui venaient quand il imaginait que ça aurait pu être Osaka…

L’agence dans laquelle il travaillait fit faillite dans l’année, réduisant à néant la maigre pension que l’ancien héros touchait. Il dut trouver un autre travail dans le civil, il rejoignit donc les docks afin d’assurer les réparations des bateaux d’un armateur grâce à sa lave lui permettant de fondre des pièces de coque. Petit à petit, il s’était remis à vivre sans cette double identité. Morisaki Jinpei était rentré à la maison en laissant Eruption sur le pas de la porte. Il ne l’avait retrouvé qu’aux derniers instants.

Sa mère l’attendait sur le pas de la porte, les yeux gonflés.

Cet événement avait profondément changé Ryotaro et le regard des autres sur lui. Il s’enferma dans une forme de solitude et de mutisme pour qu’on arrête de lui parler de l’homme qu’il aimait le plus. Pour qu’on arrête de lui dire que c’était un héros, pour qu’on arrête de parler de lui au passé.

Après la mort de son père, la vie devait continuer, elle frappa la mère et le fils en plein visage après les premières échéances. L’appartement était trop grand à entretenir pour eux deux, ils durent déménager. Afin de soutenir sa mère, Ryotaro avait commencé avec un emploi à mi-temps chez un fleuriste qui était entre leur nouvel appartement et son école. Au fil des mois, son temps chez le fleuriste était devenu plus important que son temps à l’école. Il était en décrochage par nécessité financière. Essayant de continuer à étudier le soir grâce à un professeur conciliant qui lui envoyait les cours, il arrivait à s’en sortir grâce à ces capacités. La fatigue se faisait sentir alors qu’il changeait physiquement, la coquille se formait, s’épaississant par couches, par strates.

Sa mère voyait son fils sombrer, mais ne pouvait pas y faire grand-chose, elle aussi submergée et abattue. Néanmoins, elle se rappelait une discussion qu’elle avait eue avec Jinpei. Sans prévenir son fils, elle avait envoyé son dossier aux 4 écoles de Tokyo, Ryotaro devait changer d’air. Il devait être un héros, c’était ce que l’enfant voulait il y a cinq ans, c’était ce qu’il voulait encore il y a deux ans et ça devait continuer à être son chemin.


"Ryo, il y a du courrier pour toi !"

Il avait l’enveloppe dans la main, il la tournait et la retournait, assis sur le bord de son lit. C’était assez surprenant d’imaginer ça après l’année qu’il venait de passer, tous ces changements. D'abord un peu poussé par sa mère, il avait fait son choix.

Un héros sans gloire, reste un héros quand même.

Il avait décidé de suivre les traces de son père, il ne savait pas si c’était la meilleure chose à faire. Ayant trouvé une utilité pacifiste à son Alter en utilisant un peu de lave refroidie comme terreau pour les plantes, peut-être que ça aurait pu être ça, sa voie. Cependant, l’appel qui avait résonné pour son père, trois ans après avoir raccroché, raisonné aussi en son fils. Avant de partir, il l’avait encouragé à aller vers cette direction, malgré les tensions, malgré la colère.

Eruption, c'est mon père...

Cette ombre pouvait être effrayante, devoir suivre la destinée de quelqu’un d’autre se diront certains, les responsabilités et la pression étaient fortes. À l’inverse, Ryo en fit sa cape ayant l’impression non pas de suivre les pas d’Eruption, mais d’avancer sur le chemin avec Morisaki Jinpei, le fantôme de son père le soutenant plutôt que l’accablant. Il commença à ouvrir l’enveloppe.

J’espère qu’il sera fier.