Très jeune, on t'apprend que certaines choses ne se font pas. On t'apprend que dans la société, il y a des lois, un moule, une manière d'agir précise. On t'apprend à suivre cet ordre, que tu y adhères ou non. Mais dans ton cas, Mori Kitaru, est-ce que ça fonctionne vraiment ? Toi qui est le résultat d'une union entre un vilain et une héroïne, toi qui est le fruit d'un interdit indéniable. Un enfant secret ; un mauvais secret. Ton enfance ne s'est pas résumée à ne fais pas ça, mais plutôt à : fais ce que je dis, pas ce que je fais. Ne suis pas mon exemple. Tu n'aurais pas dû naître.

Comment dire que ton entrée en ce monde, non seulement imprévue, n'était pas des plus agréables. Ta mère était irresponsable. Ton père était un vilain -inutile d'argumenter davantage, n'est-ce pas ?-, plus précisément, Blood Cell. Le vilain reconnu par ses talents à contrôler le sang. Tu n'en savais pas plus, de toute façon, tes géniteurs avaient pris la bonne décision de laisser quelqu'un d'autre s'occuper de toi. Ton grand père, plus précisément. Tu ne te rappelles pas très bien de cette période de ta vie, tu avais moins de deux ans. Celle-ci ne t'a probablement pas marqué, puisque tu n'as aucun souvenir de cet homme qui a vu les deux premières années de ta vie. Années où tu étais seul, mais cela n'a pas duré. Puisque tes parents ont répété la même erreur.

C'est ainsi que ton récit n'était plus ; il est devenu votre récit. Celui de toi et de ton petit frère nouvellement né, Kakeru.

Il ne le sait pas, parce que tu ne parles pas de tes émotion. Tu ne dis jamais ce que tu ressens. Il doit le voir, le ressentir, mais tu ne lui as jamais dit de vive voix. Kakeru a rapidement pris le rôle de ; ta raison de vivre, la prunelle de tes yeux, ta source de motivation. Appelez ça comme vous voulez. Instantanément, tu as ressenti un amour fraternel indescriptible pour ce petit être. Tu ne saurais l'expliquer. Tu as développé cette envie de le protéger, d'être là pour lui, de le voir heureux. Mais tu n'en auras le pouvoir que plus tard, votre histoire ne fait -tristement- que commencer.

Non, vous n'avez pas cette histoire tragique, remplie de mauvaises expériences à en faire pleurer plus d'un. À vrai dire, votre histoire est assez banale, si on oublie le fait que vous n'avez jamais eu de famille. Les foyers d'accueil sont la seule et unique chose que vous avez toujours connu. Dès la naissance de Kakeru, vos parents ont compris que c'était trop, et votre existence ne devait pas s'ébruiter. Ce nétait pas une grande perte, de toute façon. Ni pour eux, ni pour vous.

Ce serait mentir que de dire que tu n'espérais pas trouver une famille saine et aimante, un endroit chaleureux. La réalité était toute autre. Vous n'étiez pas maltraité, vous étiez simplement négligés. C'était presque comme vous n'existiez pas. Vous étiez logé et nourris, et... c'était à peu près tout. Ça ne prenait pas grand chose pour qu'une famille ne cesse de vous héberger, et qu'une nouvelle prenne le flambeau. Tu avais compris plus tard qu'être « le fils d'un vilain » avait la fâcheuse manie de gâcher ta vie. Personne te voyait en tant que toi, en tant que Kitaru. Ils te voyaient en tant que progéniture du mal. Kakeru et toi, vous étiez des enfants, alors on acceptait de s'occuper de vous, mais sans pour autant démontrer une once d'attachement. Pas même un peu.

Et surtout pas cette famille qui a décidé de vous abandonner peu après la découverte de ton alter.
Avez-vous déjà vécu la découverte d'un alter ? Vous devez penser que c'est agréable, amusant, excitant. C'est peut-être le cas pour ceux qui peuvent créer des petites fleurs roses avec leurs mains, mais ce n'était pas trop ta tasse de thé, à toi. Non toi, tu entendais des bruits dans ta tête. Des bruits lents, rapides, parfois réguliers, parfois moins, mais surtout, tu n'avais aucune idée de leur origine. Tu les entendais juste. On ne t'avait rien expliqué. Tu paniquais, seul. Tu étais terrorisé, dans l'incompréhension totale. Et voilà que s'ajoutaient les terreurs nocturnes, les crises d'angoisse. C'était dérangeant pour ceux qui te prêtaient leur domicile. Trop dérangeant.

Tu as fini par comprendre qu'il s'agissait de ton alter. Que tu pouvais entendre les battements de coeur des gens autour de toi. Mais tu n'arrivais pas à comprendre comment ces gens pouvaient réellement avoir un coeur.

Puis, quelques années plus tard vint la découverte de l'alter de Kakeru. Là aussi, c'était la panique. Pas pour lui, mais pour toi. Lui, il pouvait contrôler sa propre circulation sanguine. Le sang étant directement relié au coeur, tu pensais qu'il était en train de mourir, puisque tu entendais son rythme cardiaque diminuer. Littéralement. Mais aujourd'hui, ça fait une anecdote à raconter.

En réalité, vous aviez l'habitude de cette vie. Vous saviez qu'un déménagement était toujours possible. Mais lors de la Trahison, ces déménagements étaient devenu beaucoup, beaucoup plus fréquents. Vous avez appris la mort de votre père, ce qui ne te faisait ni chaud ni froid, et désormais, vous étiez devenu le mal incarné -du moins, c'est ainsi que tu le ressentais-, puisque oui, désormais, l'héroïsme était devenu de l'histoire ancienne. Lorsque vous arriviez dans un nouveau foyer d'accueil, vous ne défaisiez même pas vos bagages. C'était inutile. Vous repartiez peu de temps après, parce que vous étiez les enfants d'un vilain, alors vous ne méritiez pas le bonheur.

Vous n'êtes pas méchants vous-même ? Ce n'est pas important, qui vous êtes au fond de vous, votre existence suffit à vous mépriser.

Les années avançaient, et tu avais hâte de pouvoir vivre par toi-même.
Tu n'en pouvais plus.

Dès tes quatorze ans, tu as commencé à chercher des petits boulots, et une pizzéria du quarter de Kamata avait accepté de t'embaucher en tant que livreur. La famille qui vous hébergeait à ce moment-là possédait une boutique de vélo, alors, ils t'en ont offert un pour te permettre de travailler. C'était probablement la famille la moins pire vous ayez eu. Pas la meilleure, la moins pire. Ils n'étaient pas beaucoup plus expressifs que les autres, mais ils étaient tolérants.

Et puis, tu allais devoir rembourser le vélo une fois l'argent acquis, il ne fallait pas trop rêver non plus.

Cette année a sans doute été l'une des meilleures de ta vie, parce que tu pouvais enfin économiser de l'argent. Tu pouvais enfin faire autre chose qu'attendre que les choses s'améliorent. Les habitants du quartier te reconnaissaient comme étant le livreur aux dessins, parce que tu t'amusais à dessiner sur les cartons des pizzas que tu vendais. Ces personnes ne connaissaient ni ta vie, ni ton passé. Ils te regardaient normalement.

L'année d'après, tu as intégré l'école.

Kakeru mentionnait souvent qu'il voulait être un héros pour prouver qu'il pouvait être autre chose qu'un simple fils de vilain. Tu adhérais à sa façon de voir les choses, même si toi, tes motivations étaient différentes. Tu n'avais pas forcément envie de venir en aide aux gens. Tous les gens que tu avais rencontré te percevaient comme un fardeau. Pourquoi voudrais-tu les aider ? Méritaient-ils que tu les aide ? Tu en doutais. Mais la raison pour laquelle tu étais traité ainsi, c'était à cause de ton défunt père. Tu refusais systématiquement d'être comme lui. Il était hors de question que tu sois comme lui. Et que dire de ta mère. Sans doute l'une des pires héroïnes de l'histoire. Tu ne voulais pas lui ressembler non plus. Tu n'étais pas comme eux. Tu voulais devenir un héros pour essayer de te trouver toi-même. Mais aussi, pour pouvoir rester avec ton frère ; la seule personne qui comptait pour toi. Tu devais l'accompagner, et tu comptais profiter de tes deux années de vie que tu avais en plus pour acquérir un peu d'expérience. Tu étais l'aîné, tu étais celui qui allait le protéger. Et qui sait, peut-être allais-tu découvrir que la vie n'était pas si pourrie que ça, en dehors des familles d'accueil hypocrites que tu connaissais.

D'ailleurs, avec l'argent que tu avais accumulé, tu avais pu quitter ta toute dernière fausse famille pour vivre dans un appartement avec ton frère. Ce dernier avait joint l'école aussi, et vous alliez pouvoir vivre votre vie par vous-même. Votre adolescence commence doucement à se frayer un chemin derrière vous ; travailler, terminer les cours et entamer une vie d'apprenti héros, voilà ce qui vous allumait maintenant. Ça pouvait sembler banal, mais dans votre situation, c'était presque un exploit.

Tu te cherches encore aujourd'hui. Tu n'as pas eu la chance de te découvrir.
Tu espère que ce nouveau départ te permettra d'exister pour de vrai. De ne plus être une coquille vide. De ne plus être juste le fils de Blood Cell.