Les premiers souvenirs, en un battement de cœur [PV Sakuya]

Jour 1 : un contretemps pas si fâcheux



Ce jour-là, dans le quartier le plus gastronome de la métropole Nippone, rien n’aurait dû placer ces deux jeunes adolescentes dans la même rue, l’une en face de l’autre.


Lorsqu’elle avait reçu cette fameuse lettre annonciatrice de ses bons résultats et de son orientation vers l’académie  Jūshō, la jeune fille s’était comme décomposée par la faute de la fierté que cela lui avait procuré. Bien entendu s’était-elle empressée de faire part de cette merveilleuse nouvelle au chef de famille...non sans omettre d’y ajouter, sur conseil de sa seule amie de toujours, un petit caprice personnel. Cela faisait plus d’une décennie que son paternel ne l’obligeait à fréquenter que des adultes, présents uniquement pour lui inculquer du savoir, ou bien les progénitures dont ses rendez-vous importants n’avaient pu se défaire, quand aucune autre activité ne semblait plus importante aux yeux du patriarche. Ainsi, pour commencer à enfin vivre comme les autres élèves qu’elle côtoierait désormais, elle avait formulé la demande express, durant son premier mois de scolarité classique, de ne pas être escortée matin et soir par un chauffeur personnel. L’homme d’affaires impitoyable étant un père tout aussi sévère mais souhaitant également l’épanouissement de sa jeune fleur, il avait bien fini par céder au terme de leur argumentation mutuelle. Cela dit, il demeurait homme capable de prévenir les forces de l’ordre de la disparition de sa fille si celle-ci n’honorait pas le couvre-feu à l’heure exacte, quand bien même elle n’aurait en réalité que cinq minutes de retard.. ce qui fut particulièrement le cas ce soir là.

En effet, après l’une de ses premières journées de lycéenne normale, l’héroïne en devenir s’était à nouveau laissée tenter par l’un de ses nombreux pêchés mignons qu’étaient les Takoyakis. Raffolant de ce met basique tant et si bien que ses papilles l’avaient déconnectée de la notion de temps...c’est en se retenant de s’exclamer qu’elle était précipitamment partie de ce petit snack ou sa présence était clairement inhabituelle. Le prix lui-même, pour cette jeune fille habituée à compter en dizaines de milliers de Yens, parut inhabituel, mais ce ne fut pas une si mauvaise expérience culinaire.

Mais passons donc sur de simples aliments. Son principal souvenir ce jour-là restera aussi le plus bref...le plus annonciateur sans doute. Alors que Sakuya arpentait pour la première fois les rues d’Azabu par d’autres moyens qu’en amas de cuir et de ferraille luxueuse disposée sur des cercles de caoutchouc qui la déposerait juste devant sa destination, minimisant son activité physique...elle eut le loisir d’observer les passants, le reste de la population nippone qui foulait ce sol quotidiennement tout comme elle. Bien qu’aucun ne retint particulièrement son attention puisqu’elle n’usait pas de sa faculté à lire en eux comme dans des livres...une présence en particulier attira son regard. Sur le trottoir opposé au sien, ce qu’elle ne remarqua de prime abord que du coin de l’œil l’obligea à tourner la tête...pour que, pour la première fois, ses pupilles ne se posent sur une autre adolescente qui était extérieure à sa vie comme à son établissement. Fait surprenant, bien que l’apprentie héroïne fut nommée en honneur au printemps qui l’avait vu naître, cette autre jeune femme qu’elle observait lui évoquait bien plus cette saison que son propre reflet. Une chevelure de cerisier couronnée de grandes oreilles dont l’origine était probablement Altérique puisqu’elles semblaient naturelles mais dont il fallait reconnaître le charme conféré à leur propriétaire par ces appendices.

Cet instant durant lequel les deux regards azurs s’étaient harmonisés avait semblé durer bien plus longtemps qu’en réalité...mais malheureusement, cet instant prendrait fin prématurément lorsqu’un petit groupe de personnes s’approchant de la fleur de cerisier n’obligea cette dernière à rediriger son attention droit devant elle, juste avant que le trajet ne l’oblige à disparaître dans l’immensité des tours d’ivoire qui défiaient le ciel de par leur présence.  Même si cette brève contemplation mutuelle était déjà du passée, la jeune femme voyait maintenant ses pensées accaparées par ce simulacre de rencontre. Qui était-elle ? Que faisait-elle ? Avait-elle pu témoigner du sourire cordial qui lui fut adressé ? La reverrait-elle ? Bien qu’elle se ferait certainement sermonner par son paternel pour son retard aussi infime soit-il...elle espérait que cela ne mette pas fin à sa liberté de se déplacer par elle-même. Sakuya était loin de s’en expliquer les raisons mais parmi les centaines d’histoires sur lesquelles elle posait quotidiennement les yeux, s’il y en avait bien une qu’elle voulait connaître davantage, c’était celle de cette adolescente aux oreilles animales. A cet instant, elle s'était demandée si elle croiserait cette autre fille à nouveau.

À chaque nouveau jour incombait son lot d’activités, de responsabilités, mais aussi de divertissements. La routine étudiante n’était, bien qu’elle demeure la plus chronophage, qu’une part de son emploi du temps quotidien. Dans cet environnement qu’elle peinait encore à appréhender convenablement, Sakuya avait pourtant choisi de consacrer plusieurs jours, autant qu’il le faudrait, à une tâche un peu plus spécifique. Ainsi, dès la sortie des cours, c’est vers cette fameuse intersection que son corps la dirigeait tandis que son esprit semblait ailleurs...et pour cause, il l’était. La nuit précédente, trouver le sommeil avait été ardu pour l’adolescente sans qu’elle ne puisse s’expliquer pourquoi sa mémoire s’était vue gravée de cette brève image. Une jeune femme à la chevelure de cerisier et aux oreilles animales, revêtant un uniforme assez semblable au sien bien qu’il n’était pas similaire. 

Elle avait commencé par se remémorer le nom de cette école, Yuei, qui lui ramenait également quelques souvenirs. Après que Sakuya ne se soit acquittée des tests nécessaires pour une admission en cursus héroïque, son père avait presque immédiatement affirmé qu’elle rejoindrait cette école et n’en démordit pas jusqu’à ce que la réalité des faits ne vienne le contredire. Sans doute étais-ce une des raisons qui poussaient la jeune femme à vouloir rencontrer cette parfaite inconnue que de pouvoir constater de ses propres yeux ce qu’elle possédait de plus ou bien de moins, ce qui faisait la différence entre l’établissement d’Aconitum et celui de Midas, mais il n’y avait pas que cela. 

L’apparence, comme l’accoutrement de cette adolescente aux oreilles de lapin, avaient définitivement retenu l’attention de la jeune fleur printanière et pourtant, elle n’avait su saisir l’opportunité d’aller se présenter directement. Alors qu’elle arpentait de nouveau ces rues, son regard explorait brièvement les alentours, à la recherche du même détail qu’auparavant...mais sa recherche demeura infructueuse tant et si bien qu’elle se demanda si elle s’était trop hâtée de quitter Jusho pour que l’instant coïncide à nouveau ? A ce moment-là, un certain mécontentement envers elle-même s’était emparé de la lycéenne. Tant de moyens auraient pu être utilisés la veille pour éviter l’impasse de ce jour. Elle avait pourtant bien remarqué que l’intérêt qu’elle porta sur le moment à l’apprentie héroïne de Yuei était réciproque, à en juger par le regard de cette dernière, alors pourquoi n’avait-elle pas pris son courage à deux mains pour ne pas le laisser sans réponse ? Bien que ce soit plus lâche, elle aurait tout aussi bien pu simplement user de son Alter tout en restant à distance pour obtenir un minimum d’informations. Hélas, à cet instant, elle n’avait aucune idée de ce que faisait la jeune femme qu’elle aurait voulu croiser à nouveau, ni même de l’endroit où elle pouvait se trouver. Tout ce qui lui restait était cette capacité à continuer de regarder vers l’avenir, car elle finirait certainement par la revoir ici, car elle ne cesserait d’essayer tant qu’elle n’aurait pas obtenu satisfaction. 

Et soudain, comme un signe du destin, son regard fut instinctivement attiré non pas par une présence sur les trottoirs, mais par ce qu’elle ne put apercevoir qu’un bref instant dans un bus. Ce n’était pas une image très claire, mais elle aurait juré avoir aperçu cette chevelure caractéristique à travers l’une des vitres du véhicule. Était-elle déjà devenue si dépendante ? Ce n’était pas impossible, mais elle l’ignorait encore à ce moment-là. Tout ce qu’elle savait, dont elle s’était alors persuadée, c’était que ce fameux carrefour était l’unique endroit où elle pouvait réussir à lui adresser la parole, ne serait-ce que le temps de quelques mots. Un espoir assez puéril si on le voyait d’un œil extérieur, mais qui avait pourtant été suffisant à raviver un sourire atténué sur ces traits de porcelaine. Avant que cette semaine ne s’achève, il restait quelques jours dont Sakuya espérait pouvoir mettre le prochain à profit pour recueillir, au minimum, le nom de cette inconnue étrangement captivante. 

Le hasard et le destin, deux entités capricieuses qui s’obéissaient mutuellement. L’espoir, ce sentiment peu raisonnable qui animait la jeune lycéenne pendant que son regard examinait soigneusement les environs de ce même carrefour ou ses pas la conduisaient régulièrement depuis quelques jours. A moins que ce ne soit tout simplement un sentiment nouveau qui la poussait à vouloir, jour après jour, observer de nouveau cette beauté printanière aux oreilles animales ? L’adolescente n’avait malheureusement pas la réponse à cette question. Elle ne savait même pas si cette vision qu’elle pensait réelle l’était véritablement ou il ne s’agissait que d’un rêve éveillé, assemblé de toutes pièces par son subconscient.  

Malgré tout, elle continuait à venir ici, dans une recherche supposée vaine d’une jeune fille dont l’existence n’était pas établie. Les regards qu’elles avaient échangés ne trompaient pas, elles désiraient se rencontrer et bien davantage. Mais pour cela, il leur fallait réussir à transgresser cette barrière spatiale qui séparait bien souvent leurs routes respectives. Le temps lui-même était capricieux, la lycéenne de Jusho n’ayant aucune idée du moment exact ou apparaîtrait cette douce présence dans son champ de vision. Le seul fait d’y songer emplissait son esprit d’une légèreté incomparable, mais rien ne valait la contemplation de ce charme étrange...qui apparaissait enfin sous ses yeux captifs.

Malheureusement, l’objet de sa curiosité n’était pas seul. Les secondes s’écoulaient tandis que Sakuya la regardait déambuler sans un mot. Jusqu’à ce que la lapine ne se fige. Pouvait-elle sentir cet océan infini qui la contemplait, d’aussi loin ? Sans doute, puisque son regard s’orienta rapidement vers l’intéressée. La lumière de ses traits réjouis raviva, dans le cœur de la jeune Haruki, une flamme ardente, qui lui donnait l’impression de la consumer entièrement. Sa notion du temps lui fut simplement arrachée par ce sentiment heureux qui l’envahit, jusqu’à ce qu’une voix intérieure ne la somme de cesser d’être passive. Si elle tenait tant que ça à parler avec cette inconnue, ce n’est pas ces dizaines de mètres les séparant qui le permettront. Pourtant, ses jambes refusaient de lui obéir. La simple vision de son paradis personnel la figeait sur place comme une malédiction, malgré toute sa volonté d’enfin se rapprocher d’elle en profitant de l’éloignement du groupe pour enfin se l’accaparer.  Son unique consolation était d’avoir l’opportunité de poser les yeux sur sa convoitise en détails. C’était bien la première fois qu’elle se refusait la solution de facilité pour apprendre des choses sur autrui.

Mais toutes les bonnes choses doivent avoir une fin. Rattrapée par son groupe, l’objet de la curiosité de Sakuya fut arraché à sa contemplation sans qu’elle puisse trouver la force d’y remédier ou même de protester. Pourquoi n’avait-elle pas su trouver la force de s’approcher de cet idéal, pour le caresser du bout des doigts ? A présent que son utopie s’était à nouveau volatilisée, seul le regret de son manque de courage subsistait. Combien d’occasions manquerait-elle encore ? Aucune, plus jamais. Elle n’avait déjà que trop failli à son cœur comme à sa parole, la prochaine fois, quoi qu’il en coûte, elle devrait l’accoster.