Dites-le avec des fleurs [Mikazuki & Ryotaro]

Cela faisait déjà quelques mois que le natif d’Osaka avait posé bagage à Tokyo pour parfaire son éducation, quittant sa ville côtière pour la capitale japonaise. Depuis ce moment, il avait toujours un petit vide en lui, notamment le week-end où la seule préoccupation de ses camarades était généralement de se reposer et de réviser pour préparer la semaine suivante. Depuis deux ans, Ryotaro était élevé un peu plus à la dure, car il se l’imposait. En mettant en parallèle un emploi à mi-temps et les études, cela lui permettait d’aider sa mère à subvenir à leurs besoins, qu’elle se fasse moins de souci.

Cette problématique était maintenant du passé, ses frais de scolarité ayant été payés ainsi que sa place en dortoir. Néanmoins, le garçon continuait à constituer un bas de laine pour quand il rentrerait, dans le but d’amener sa mère au restaurant ou bien de lui payer un équipement ou de l’électroménager qui l’aiderait dans son quotidien solitaire. Il ne savait pas encore.

Il avait donc passé de nombreuses journées à arpenter les rues de Tokyo à la recherche d’un emploi à mi-temps, se jurant de ne pas recommencer le surrégime qu’il s’était imposé l’an dernier. Non, l’objectif était vraiment de se vider la tête dans un endroit hors du lycée avec le minimum de présence et idéalement au milieu des fleurs qu’il commençait à affectionner.

C’était peut-être idiot d’imaginer un jeune volcan au milieu des plantes, mais Ryotaro trouvait une certaine douceur et le calme entouré de végétaux. Il comprenait que les fleurs pouvaient en plus permettre de créer des liens avec les résidents de la capitale tokyoïte comme c’était le cas dans sa ville natale. Le mot et le cadeau que Toméo lui avait laissé à l'hôpital en attestait. Aujourd’hui, la plante était sur le rebord de sa fenêtre, dans un verre d’eau et avec la roche volcanique autour d’elle pour la faire croître tant que possible.

Passant de boutiques en boutiques et essuyant refus sur refus, il commençait à perdre espoir, jusqu’à pénétrer dans cette modeste échoppe de Ueno, au cœur du marché de Ameya Yokochô. Il ne faisait pas le fier, serpentant au milieu des passants et des étals depuis lesquels des anciens, habitués à ce cirque, essayaient d’alpaguer le grand étudiant dépassant de la foule.

Avec conviction, il avait salué une vieille dame tenant boutique, avec simplement un comptoir, une arrière boutique de quelques mètres carrés et un comptoir presque enseveli sous une végétation luxuriante.

Coup de chance, avec les fêtes de fin d’année, les passants se faisaient plus nombreux et elle aurait bien besoin d’un coup de main devant pendant qu’elle s’occupait de préparer les bouquets et autres compositions florales derrière. Avec sa recommandation du fleuriste d’Osaka, elle pensait que le jeune étudiant ferait l’affaire.

“Merci.”

Le voilà donc depuis quelques week-ends dans le magasin, à s’occuper de la clientèle, à prendre commande, mais aussi à réarranger les bouquets ou à préparer des compositions en direct. Pour l’instant sa responsable semblait suffisamment contente pour lui faire confiance afin qu’il tienne la boutique quelques heures.  

C’était alors une journée calme, les senteurs de plantes entêtantes se répandaient dans la petite pièce, les plantes grimpantes et volumineuses se répartissaient sur les étals des murs ainsi qu’une mince table presque aussi large qu’un banc recouverte de fleurs était devenue son quotidien. Devant le magasin, des plantes en pot grignotaient peu à peu la rue afin d’attirer les curieux et les potentiels clients.

Ryo était en train de couper des boutures quand il entendit la clochette de l’entrée sonner. Sans se retourner, concentré sur son travail, mais avec un ton assez chaleureux, il prit la parole pour signifier sa présence. En effet, il pouvait être caché par les plantes car lui-même ne voyait pas l’entrée.

“Bonjour, bienvenue.”

Les oreilles du garçon réagirent en premier à la voix familière. Il se redressa subitement, un peu paniqué et manqua de faire tomber une applique au-dessus de lui. Il émerge de derrière les plantes ayant profité du léger coup sur la tête pour retrouver une attitude normale. Qu’est-ce qu’une de ses camarades de classe venait faire ici ? La réponse était assez évidente, elle ne venait pas pour acheter 500g de steak chez un fleuriste, mais pourquoi avoir choisi cette boutique en particulier? Il se retourna en se grattant le crâne.

“Oh salut Mikazuki.”

Il avait fait en sorte de s’éloigner suffisamment de la zone du lycée et de se perdre dans un marché d’envergure pour éviter ce genre de situation. Il voyait les oreilles de sa camarade s’agiter sur sa tête. Le destin l’avait donc amené ici.

“Merci… J’ai commencé à travailler ici il y a peu de temps, mais madame Kaji sera heureuse de le savoir !”

En effet, pas mal de monde s’étonnait de voir le grand lycéen un peu maladroit à cause de sa taille dans un environnement aussi délicat que l’art floral. Il y était tombé un peu par hasard, ça avait été le premier endroit où on l’avait accepté pour un emploi étudiant, il n’avait pas cherché plus loin. Le vrai déclic ayant eu lieu quand son ancien patron lui fit remarquer que son Alter destructeur pouvait aussi semer la vie sur son passage.

Il sourit légèrement en essayant déjà de réfléchir à comment il allait pouvoir aider sa camarade à faire le bon choix. Tout en finissant de nouer le ruban autour de l’impressionnant bouquet qu’un homme était venu commandé pour sa femme.

“Écoute, ça va pas mal et toi ? Une petite seconde s’il te plait.”

Ryotaro se donnait de quoi occuper ses mains, réarrangeant la composition florale entre ses doigts avec une certaine précision, cherchant les fines tiges à tourner et à manipuler plutôt que les duveteux pétales, taillant au ciseau les dernières feuilles récalcitrantes en focalisant toute son attention.

Ne pouvant pas continuer sous peine de créer une situation gênante. Il laissa le bouquet à tremper et posa ses outils et ses gants, attendant que le client revienne chercher sa commande après ses emplettes sur le marché. Il s’accouda au comptoir, remettant ses lunettes en haut de son nez et affichant un sourire franc.

“Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?”

Dans cet environnement, il savait qu’il était en maîtrise, ramollissant un peu la coquille de solitude confortable dans laquelle il avait l’habitude de rester cloîtrer au lycée si on ne le forçait pas à sortir de celle-ci.

La lapine était en effet chargée, les fleurs devaient venir en bout de course. C’était assez logique après tout, pour éviter un risque de détérioration des fleurs. Sa camarade, même si ne sachant pas au départ qu’elle allait offrir une composition, avait eu de la chance de venir le voir en dernier.

Enfin ça, c’est si elle repartait avec une composition déjà existante. Elle se lança dans une longue tirade qui décontenança un peu l’étudiant. Il commençait tout juste à s’habituer au jargon de Mikazuki et parvenait toutefois après une petite traduction mentale rapide à tout comprendre. Il avait suffisamment de connaissances dans les jeux vidéos et leurs systèmes pour pouvoir interagir avec sa camarade à l’Alter particulier.

Le garçon sourit derrière le comptoir en rangeant quelques outils qui trainait et en nettoyant les quelques feuilles restantes sur le plan de travail. C’était donc pour faire un cadeau à sa mère pour la fin d’année.

Charmante attention !

Bien que se définissant comme une néophyte totale, sa camarade semblait avoir quelques notions ou du moins savoir que les fleurs avaient une signification. Elle ne lui avait pas dit où elle avait vu la composition avant. Le rythme cardiaque de Ryotaro monta un peu quand il se redit compte que c’était au restaurant de ramen, c’était l’une de ses premières réalisations qu’il avait faites dans cette boutique.

Mikazuki était donc à la recherche de ce créateur ou du moins du lieu duquel était sorti cette composition. Elle avait donc trouvé le lieu qui servirait d’étape dans sa quête suivie!

“Tu es au bon endroit alors !”

Il réfléchissait à ce qu’il allait proposer en regardant dans la boutique surchargée. Certains bouquets pouvaient être emportés directement, mais le cœur de leur travail était de piocher dans les différents pots pour répondre aux attentes personnalisées de leurs clients. Madame Kaji était une experte dans ce domaine, elle comprenait très vite les sentiments et les besoins des gens qui rentraient dans son échoppe.

La voix de sa camarade le fit sortir de sa réflexion. C’était une occasion comme une autre d’en apprendre plus sur le garçon pour la future héroïne, ça lui permettrait certainement de faire monter leurs points de relation pour l’avenir. Du côté de Ryotaro, ça le dérangeait moins dans cet environnement apaisé de s’ouvrir un petit peu plus. Il mit les mains dans la poche avant de son tablier comme il le faisait souvent avant de parler car il n'aimait pas les laisser pendante. Il sentit presque instantanément un tube de crème hydratante qu’il emportait toujours avec lui ainsi que quelques déchets de plantes qui s’étaient glissés là pendant son travail.

“Non pas très longtemps, ça va faire… Un peu moins de deux ans.”

Il avait marqué une pause au milieu, chassant un souvenir triste qui coïncidait avec cette période. Sa pudeur lui aurait habituellement fait arrêter de parler là, mais continuer à parler lui permettrait sans doute de ne plus penser à ça.

“Je cherchais un boulot à mi-temps pour aider ma mère. J’ai eu de la chance qu’un fleuriste me prenne au final. Il m’a fait faire un essai et apparemment j’ai la main verte.”

Il sourit un petit peu, cet environnement calme et apaisant lui faisait du bien. L’étudiant le rendait bien en prenant soin des plantes et en les nourrissant avec ce qu’il restait de sa transformation volcanique une fois revenu à la normale. Un cercle vertueux.

"En plus, ça permet d'occuper les week-ends à autre chose que les révisions ou la routine d'entrainement. Tu as des activités en dehors de Yuei ?"