Une soirée morose [PV Momo]

Une soirée morose

Et la pluie battait. Et peu à peu, les passants s’éclipsaient, laissant les rues d’Ebisu devenir quasiment désertes, son panorama étant uniquement gêné par d’occasionnels passants trottant afin de minimiser l’impact du temps sur la sécheresse passée de leur tenue.

Et quand bien même le bon sens était de s’abriter des larmes célestes, en ce début de soirée, cela faisait près d’une heure que tu étais comme enracinée face au Yebisu Garden Place. D’occasionnelles vibrations dans la poche de ton jean t’avaient indiqué que l’on avait voulu te joindre à trois reprises, mais tu les avais laissées sans réponse. L’identité de l’appelante ne faisait aucun doute à tes yeux et pour l’instant tu n’avais aucune envie de lui parler mais seulement de rester en tête à tête avec la pluie qui trempait tes jambières et ruissellait sur l’imperméable que tu t’étais décidée à enfiler avec négligence lorsque ta chevelure avait commencé à dégouliner et à imprégner ton t-shirt.

Le café que tu tenais dans les mains par ailleurs n’était plus chaud depuis bien longtemps et si tu daignais y jeter un œil tu remarquerais qu’il allait quasiment déborder à force que la pluie s’y mêle. Depuis le temps, tu n’en avais pas bu la moindre gorgée, trop occupée à laisser ton regard se faire absorber par la pluie battante et le ciel grisâtre. Fort heureusement le stock de nourriture que tu t’étais procuré ne connaîtrait pas le même sort, à l’abri dans un sac à dos qui ne craignait pas les intempéries. Quel temps de chien, idéal pour se laisser morfondre, ainsi le voyait une bonne partie de la population. Ce n’était pourtant pas ton cas. L’avantage lorsqu’il pleuvait était que tu parvenais à puiser en toi suffisamment de sérénité pour ralentir un temps soit peu ton organisme, du moins en avais-tu l’impression, et pouvoir réfléchir sans que ton cerveau ne soit la balle d’une partie de ping-pong endiablée.

Hélas, les même questions revenaient en boucle. C’était d’ailleurs en partie pour cela que tu ne voulais pas retrouver ton foyer après une journée de travail dont tu te serais bien passée. Revoir ta famille c’était une chose...mais pas elle. Ton instinct te murmurait que si elle entrait dans ton champ de vision, ton sang ne ferait qu’un tour avant que sa nuque n’en fasse un sur elle-même et que sa dépouille atterrisse sèchement dans le sol trempé de votre propriété. Un déchet reposant et pourrissant dans la boue, c’était là une vision que ton côté sauvage trouvait approprié. Pourtant, une part de toi existait encore pour t’empêcher d’en arriver à cet extrême.

Ton regard se déporta enfin vers les imposantes flaques d’eau s’étant formées ça et là sur le sol, ruissellant pour certaines jusqu’aux tréfonds du système d’évacuation. L’une d’elles s’était ironiquement formée à tes pieds, d’une limpidité presque suffisante pour que tu puisses y admirer ton reflet...ton esprit se chargeant néanmoins de faire de cette impression une réalité. Et l’on ne pouvait dire que tu étais particulièrement belle à voir, trempée de la tête aux pieds, arborant un air blasé comme à ton habitude.  Une raison de plus de ne pas rentrer car dans cet état, si tu t’endormais, tu te réveillerais probablement malade et incapable d’aller au boulot à cause d’une foutue bronchite. Seulement, tu n’avais nulle part ou passer la nuit pour l’instant.

Et tu n’eus pas le temps d’y réfléchir. Outre le fracas de la pluie sur le sol, un bruit attira ton attention. Un lent clapotis, significatif. La pluie avait redoublé d’intensité depuis la dernière fois ou tu avais levé les yeux au ciel, te poussant à te demander qui pouvait bien vouloir braver la manifestation de Kuraokami. Et très vite, tu remarquas la silhouette plutôt frêle d’une jeune enfant seule. Probablement perdue ? Le fait qu’elle recherche ses parents expliquerait sans nul doute sa faible allure. Mais puisqu’elle ne semblait pas les trouver, tu te décidas à l’interpeller avec toute la finesse dont tu avais le secret.

« Hey, gamine ! Vient donc par ici au lieu de laisser la pluie te ronger jusqu’aux os »

Car perdue pour perdue, que tu te passes de ton imperméable ne changerait rien à l’état dans lequel tu finirais. En revanche il était assez ample pour pouvoir protéger cette jeune fille de la pluie, si tout du moins elle l’acceptait...et acceptait d’approcher une parfaite inconnue.

« Tu t’es perdue, dis-moi ? Besoin d’un petit coup de main pour retrouver tes parents ? »

S’embarquer dans une aventure qui te coûterait sans doute ta soirée vue l’ampleur du quartier et la probabilité que tu démarres par une mauvaise piste...il n’y avait vraiment que toi pour t’y résoudre lorsque tu n’avais rien de mieux à faire.

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L’hésitation, tu avais pu la lire dans le regard de l’enfant, avant qu’elle ne se décide à te rejoindre. Tu pus alors te rendre compte que la pauvre allait sans doute finir dans le même état que toi, sinon pire. Même ces bandages que tu supposais recouvrir des blessures étaient trempés...tu ne savais pas ce qu’ils cachaient mais une chose était sûre, c’est qu’ainsi ça ne guérirait pas.

Le silence se fit naturellement durant les premières minutes. Trop occupée qu’elle était à fureter les alentours, tu en faisait de même...cette chose devait bien appartenir à quelqu’un après tout. Mais sous un tel déluge, son propriétaire avait probablement dû abandonner les recherches pour se mettre à l’abri d’un toit...ce que toute personne censée ferait, finalement. Tu n’avais pas l’air très maligne, seule au milieu de ces torrents, sacrifiant ta seule protection pour qu’une enfant que tu ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam soit à l’abri. En somme ce n’était pas en restant ici que la situation se débloquerait. Mais enfin, la fillette semblait disposée à t’adresser la parole.


Drôle de façon qu’elle avait là d’appeler son père...qu’est ce que c’était encore que cette famille ? Tu étais loin d’être une bonne mère mais tu n’obligeais pas ta chair à t’appeler maîtresse...c’était un truc qu’on ne voyait qu’à l’école ça. Et pourtant quand bien même tu répugnais à t’occuper de ta propre fille pour ces souvenirs qu’elle te remémorait, voilà que tu te préoccupais d’une enfant dont tu venais de croiser la route...vraiment, parfois, ta propre logique t’échappais. Tu ne faisais finalement que vivre selon tes divers instincts.


Même si tu n’étais pas la mieux placée pour formuler ce reproche. Ton attention se reporta enfin sur  la jeune fille et tu remarquas qu’elle tremblait, essayant vainement de se réchauffer. C’était logique...pourquoi tu n’y pensais que maintenant ? Probablement parce qu’elle venait seulement de briser la glace entre vous. Prenant le temps de ne pas la brusquer, ta main se posa sur ton épaule et ton visage s’approcha de son oreille, t’évitant ainsi de crier pour surpasser le tambourinement des gouttes.


Evidemment, tu n’essuyas pas de refus même si sa réponse te parut assez timide. Alors tu lui présentas ta main, arborant un faible sourire pour lui inspirer une certaine confiance. Tu avais bien remarqué qu’elle avait une certaine appréhension à ton égard...mais la différence d’âge et de carrure parlait d’elle-même, non ? Si tu avais voulu lui nuire ce serait fait depuis longtemps...du moins espérais-tu qu’elle voit la chose ainsi. Attrapant alors doucement sa main en récupérant ton sac de l’autre, tu te mis à courir à faible allure, afin qu’elle puisse suivre le mouvement jusqu’au centre commercial, avant que tu ne la relâches, prenant alors un instant pour te secouer comme une canidé pleine de puces...tu t’étais vraiment trempée avec ta générosité.


Est-ce qu’elle prendrait ton avis en compte ? Te donnerait-elle son prénom en retour ? Tu n’en étais pas certaine, malgré le ton plutôt sec de ta requête. Mais puisque tu l’avais sous ta responsabilité, tant qu’elle te suivait pour que tu ne la perdes pas de vue en attendant qu’elle retrouve son « maître »...c’était le principal. Tu ouvris la marche jusqu’au café ou tu étais venue plus tôt et l’invita à s’asseoir avant que tu n’en fasses de même.


Oui, un café pour une enfant à peine plus âgée que ta fille. Bien sûr Astrid.


C’était dans ce genre de situation que ton inexpérience totale avec les enfants se voyait terriblement évidente. Mais après tout ce n’était pas de ta faute. Ca crie, ça pleure pour un rien...et ça met généralement ta patience inexistante à rude épreuve. Pourtant ça n’avait besoin que d’amour mais tu étais trop bornée pour le comprendre.

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Le  tableau avait de quoi faire sourire, d’un point de vue extérieur. Une Suédoise introvertie qui s’était accaparée la tutelle d’une jeune Japonaise perdue le temps que celle-ci retrouve ceux qui devaient s’en charger en temps normal. L’âge pouvait en fin de compte vraiment influer sur ton indifférence habituelle...car tu avais cette fâcheuse tendance, cette forme de condescendance, qui te poussait trop souvent à vouloir apporter aux autres, ne serait-ce que pour te prouver que tu étais encore humaine malgré la rage qui te consumait… et qu’à ton échelle tu pouvais encore accomplir ce dont Solem s’était montré incapable il y a cinq ans. Jamais tu ne serais le symbole de quoi que ce soit, ou que ce soit mais si tu n’aidais même pas ceux qui te paraissaient avoir besoin d’aide tu finirais par t’enfoncer dans cette catégorie que tu répugnais. Ceux qui, dotés d’un Alter, l’usaient pour leur intérêt et non pour celui du plus grand nombre. Une pensée assez ironique quand l’on connaissait ton mode de vie actuel.

Et si mauvaise mère puisses-tu être, l’attitude de cette enfant ne t’avait pas échappée. Bien moins expressive que la tienne, sûrement un peu plus fière… mais toute aussi timide et maladroite. Bien trop réservée pour que l’on ne cherche à prendre l’ascendant sur elle quand on se rendra compte des faiblesses que comporte sa coquille… et Odin seul savait ce que l’on tenterait de faire d’elle à ce moment là.  D’autant que son comportement t’intriguait. Tu avais hélé le premier serveur venu pour qu’il s’occupe de vous  et en attendant que les boissons arrivent tu t’étais laissée aller à observer la jeune fille plus en détails. Et sa réaction lorsque tu évoquas ses bandages s’avéra assez surprenante. Trois fois elle avait voulu se justifier pour les conserver...et si la troisième fois était un peu plus absurde que les deux premières, l’ensemble de ses excuses sonnaient désespérement creuses à tes oreilles. Tu aurais pu ne pas le relever si elle n’avait pas choisi l’option de facilité de te tourner le dos. Ton regard se voulut alors un peu plus ferme, tandis que tu la sondais. Ces différentes constatations s’imbriquaient progressivement dans une réalité subjective à ton esprit concernant la jeune fille...fidèle à toi-même, quitte à provoquer les larmes qu’elle semblait retenir, tu allais en venir au vif du sujet.


Durant de longues secondes, tu attendis néanmoins qu’elle daigne se reprendre et te faire face de nouveau. Le cas échéant tu quitterais ton assise pour aller t’agenouiller à sa hauteur mais tu ne continuerais pas avant de capter de nouveau ses prunelles. Outre cette honnêteté, voir son fin visage innocent t’aiderait à te canaliser. Cette légère preuve de lâcheté t’avais déplue mais après tout ce n’était qu’une enfant, qui plus est n’ayant peut-être pas bénéficié d’une éducation comme la tienne...tu pouvais bien lui pardonner si elle prenait en compte ce que tu lui disais.


Ta voix essayait de se faire aussi douce qu’elle en était possible. A vrai dire tu avais déjà ton idée sur la raison de la présence de ces bandages mais tu préférais en avoir le coeur net.


Tu marquas un temps d’arrêt, mais aussi d’hésitation. Compte tenu de son état, étais-ce bien judicieux de continuer sur ta lancée ? Oui, tu n’abandonnerais finalement pas avant d’avoir obtenu toutes ces réponses.


Ton timbre s’était brusquement adouci, ta voix se voulant plus rassurante. Quand bien même elle t’aurais avoué avoir vidé un immeuble ou même une ville de ses habitants jusqu’au dernier grâce à son Alter, tu ne lui en aurais pas voulu de suite. Pas avant de savoir ce qui l’a poussée à le faire. Mais tu ne lui voulais pas de mal et tu espérais qu’elle le comprenne. Dans tes gestes comme dans ton regard, il n’y avait aucune animosité, Pourtant, davantage par précaution que pour la menacer, une de tes mains se tenait prête à lui saisir le poignet si elle décidait de fuir. Ce n’était pas ce que tu voulais qu’elle fasse.

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Comme tu l’avais supposé, la petite n’avait fait que corroborer tes propos à sa manière, hochant fébrilement la tête pour unique réponse...tu n’avais pas besoin de plus. Néanmoins, ses mots firent se durcir légèrement ton regard. Tu l’aimais bien, cette enfant qui avait eu le cran de te dire froidement qu’elle avait rayé sa mère de la carte. Restant silencieuse le temps qu’elle libère ses bras des bandages imbibés, tes yeux se posèrent sur ses petites mains craquelées lorsqu’elle te les présenta, t’expliquant que cette nécrose éphèmère était la conséquence de son Alter sur sa personne. Le pouvoir de détruire mais aussi celui de recréer...du moins obtiendrait elle les deux si elle parvenait à le maîtriser entièrement ? Son pouvoir était tellement plus puissant que le tien. Tu détachas finalement ton regard de sa paume pour la fixer à nouveau dans les yeux tandis qu’elle se rapprochait de toi. Au moins, vu son comportement elle n’avait plus aucune appréhension à ton égard. C’était une bonne chose. Tu te penchas légèrement en sa direction, ce même sourire rassurant gravé sur tes lèvres et vint ébouriffer brièvement sa tignasse.


Confession pour confession, puisqu’elle t’en avait dit beaucoup et qu’elle osait maintenant s’approcher de toi, tu lui indiquas d’un mouvement de tête de venir un peu plus près de toi, à mesure que tu remontais ta manche gauche jusqu’à dévoiler une légère parcelle de ton torse, laissant supposer que ta brûlure était tout aussi présente sur la partie cachée qu’à l’endroit que tu lui montrais. Sans doute qu’elle ne le mesurerait pas mais assumer et partager les faiblesses qui ont fait de toi ce que tu es aujourd’hui, ça en mettait toujours un coup conséquent à ta fierté.


Tu t’interrompis un instant, portant ton poing fermé au niveau de son coeur, l’y appuyant légèrement


Sans la contraindre, tu glissas une main dans son dos pour la rassurer davantage. Si tu l’avais fait, n’importe qui en était capable.


Ta main glissa alors jusqu’à son épaule, qu’elle agrippa légèrement. Le but n’était pas de lui faire mal mais seulement qu’elle t’accorde toute son attention.


C’était un discours un peu tout fait que tu lui avais sorti, mais le message était sûrement assez clair..non ? Dans le doute...et aussi vu son âge...valait peut-être mieux passer à autre chose.

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Au moins, ton discours ne semblait pas avoir chuté dans une oreille sourde. La petite était restée murée dans le silence, comme perdue, sûrement parce que tu l’avais assommée avec ton discours. L’ouvrir, toujours l’ouvrir jusqu’à avoir tout déballé pour enfin te taire, tu n’avais jamais su faire autrement.


Ce concept de famille de coeur, tu n’y avais jamais été très réceptive, ayant grandi entourée par la véritable. La première fois que tu découvris la notion ce fut dans un journal quand cette triste affaire avait fait la une. Une nonagénaire qui avait travaillé toute sa vie s’était vue dépouiller de sa richesse jusqu’au dernier Yen par un pauvre type qui a force de lui tenir compagnie et de l’aider dans son quotidien était devenu son fils de subsitution...aussi hâtive qu’à ton habitude, tu avais vite fait de cataloguer les individus de cette catégorie comme des profiteurs sans scrupules. Cela dit Momo ne pouvait qu’en avoir besoin...et en effet elle était toujours mieux avec un toit sur la tête que dans la rue même si on pouvait se poser des questions quant aux motivations de ce fameux Maître.


Tu y avais pourtant cru, aux héros, comme tout un chacun à une époque. Quelle naïveté. Jusqu’à ce que tout ça vole en éclats en ce triste jour. Bien sûr ils ne pouvaient purifier leurs rangs car ça signifiait tout simplement le licenciement pur et simple de la totalité de leurs effectifs...et donc l’arrêt définitif de leur existence.


Mais tu ne lui forcerais pas la main car...n’avais-tu pas déjà usé d’assez de salive aujourd’hui ? D’autant plus que son rapport à l’argent était pour le moins spécifique...vraiment, si tu la revoyais dans le futur, il y en avait des choses à rectifier. Tu t’imaginais qu’elle avait dû vivre un bon nombre d’années dans la rue sans jamais avoir appris les choses les plus basiques...et pourtant elle avait survécu. Ce serait un pur gâchis qu’une petite flamme si vive ne se fasse corrompre avant de devenir un brasier resplendissant.


Ton regard se figea un instant sur la marée noire dont tu venais de réduire le volume d’une gorgée, ta main secouant légèrement le verre pour que le liquide ne tournoie sur lui-même. Avec le recul et un soupçon de ta paranoïa, certains mots résonnaient étrangement dans ton esprit.

« Momo...juste une chose. On a toujours le choix de cesser de se couvrir les mains de sang même lorsqu’elles en sont déjà imbibés. Si tu ne veux pas tuer il y a une infinité d’autres moyens de mettre ce qui te menaces hors d’état de nuire. Par exemple avec une jambe ou moins, ou même les deux, c’est difficile de courser quelqu’un...tout comme c’est difficile de l’attraper sans avoir de bras utilisable. Même lorsqu’on est contraint à faire du mal il y a des nuances avant d’en arriver à l’extrême de prendre une vie. »

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Avec le recul, elle était amusante cette petite. La voir admettre son impuissance actuelle, l’absence totale de contrôle de son Alter...mais aussi espérer pouvoir le dompter quoi qu’il en coûte. La vision avait de quoi te faire sourire, tu étais exactement dans cet état d’esprit à son âge...c’était il y a plus d’une décennie en arrière et l’on ne pouvait toujours pas dire que la situation aie beaucoup changée. Chaque fois que tu en abusais, ses effets néfastes sur ton corps te poussaient au bout. En revanche, dans le regard de Momo, malgré ses doutes évidents, tu semblais discerner une confiance relative. Peut-être qu’elle s’était retrouvée, en celui qu’elle appelait «  Maître » la figure paternelle qui manquait… peut-être même qu’elle s’était reconstruit un cercle familial bien plus grand que cela. Cette notion de famille spirituelle t’avait toujours échappée mais il semblerait qu’elle ne soit pas complètement inutile en fin de compte. Au moins, elle avait empêché une orpheline de sombrer dans un gouffre sans fond.


Car au fond le problème ce n’était pas son prétendu maître, qui pouvait parfaitement se défendre seul d’après ce qu’elle t’avait dit, c’était qu’une adolescente de son âge se soit perdue dans un lieu si vaste. Vu que la ramener chez toi ne t’attirerait que des ennuis et de nouvelles crises à gérer, surtout si elle venait à toucher les affaires de ta propre fille, il n’y avait guère de meilleure solution...mais si personne ne venait la chercher, tu ne savais pas quoi faire d’elle puisque tu ne te voyais pas la ramener avec ta maigre connaissance de la ville.


Encore une fois, si pour toi c’était limpide, c’était probablement un peu brouillon pour ton interlocutrice.

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L’espace d’un instant, tu doutais d’avoir correctement entendu la jeune fille qui était avec toi. C’était tout de même une jeune adolescente, mais elle ne savait pas lire ? Deux questions te vinrent à l’esprit...depuis quel âge était-elle orpheline ? Combien d’années avait-elle dû errer dans la rue avant d’être recueillie ? Non, tu ne voulais avoir aucune de ces deux réponses. Skuld pouvait réellement se montrer cruelle parfois. Certes, elle avait pu survivre jusqu’à maintenant dans cette hostilité mais tu ne pouvais pas te résoudre à l’abandonner à nouveau sans surveillance. Le destin semblait vraiment avoir fait de sa petite son jouet.


Il pouvait bien être le pire des tueurs en série du pays s’il voulait, ce n’était sûrement pas toi qui irait chanter ce que tu savais dans un commissariat. Peut-être l’unique genre de bâtiment dans lequel ton code personnel faisait que tu ne mettrais même jamais les pieds. Tu n’avais certainement pas besoin de chiens armés et de prédicateurs en robe au service d’un régime bancal pour rendre ta propre justice à ta place.


Instinctivement, après l’avoir de nouveau écoutée, tu te levas également et ébouriffa légèrement sa chevelure en t’abaissant légèrement à son niveau.


Finalement, ta main se présentas à nouveau à la jeune fille. Elle était libre de la décliner mais puisqu’elle ne l’avait pas fait la première fois, peut-être que ça lui apportait quelque chose ?


Elle semblait assez pressée de retrouver, à défaut de son maître, son foyer, donc tu accéléras légèrement le pas sans pour autant la forcer à te suivre au même rythme, jusqu’aux différents panneaux qui indiquaient les lignes et destinations. C’était un vrai méli-mélo à déchiffrer, ces caractères, heureusement que le temps s’était apaisé. Mais il te manquait quand même l’information principale...


Au moins, elle avait été capable de te le dire. Et tu te rendis compte que vous n’étiez pas passées loin de rater le prochain bus qui y menait...une heure d’attente économisée grâce à la petite. Dès que tu aperçus le bus arriver, tu invitas de nouveau Momo à te suivre et lui laissas même l’opportunité de choisir sa place pendant que tu réglais le chauffeur. De toute manière tu la rejoindrais pour pouvoir garder un œil dessus pendant le trajet qui s’annonçait. Par acquis de conscience, tu jetas un œil à ton portable. Ces deux nouveaux appels manqués...tu t’en occuperais plus tard. Ce n’était pas non plus comme si tu allais disparaître pour le reste de sa vie, même si c’était clairement la première fois que tu prenais le temps de raccompagner une enfant jusqu’à chez elle. Tu n’étais pourtant pas capable de la moindre marque d’affection envers ta fille pour ce qu’elle représentait à tes yeux, mais avec Momo c’était..différent ? C’était peut-être un signe, au fond, il serait temps que tu te réveilles et que tu apprennes à réellement assumer ce qui était sorti de tes propres entrailles, sinon tu serais bien la seule fautive si Nea venait à maltourner… et même si tu te voyais parfois la tuer de tes mains dans le passé, ce n’était pas pour ces raisons.

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Décidément, Momo ne te faisait vraiment pas confiance. A nouveau elle doutait de la sincérité de ta proposition de vouloir la ramener, ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle doutait de tes paroles, mais finalement il n’y avait rien d’étonnant. Avant qu’elle ne trouve ce père adoptif, combien d’adultes avaient dû essayer de lui nuire ? Ce n’était pas en une poignée de minutes qu’elle baisserait sa garde face à toi pourtant ton attitude parlait d’elle-même, quand tu disais que tu allais faire quelque chose, tu le faisais, ça n’allait pas chercher plus loin que ça. C’est ainsi que tu t’étais retrouvée aux côtés de la jeune enfant dans ce bus.

En revanche, pour faire la conversation c’était autre chose. Heureusement, la jeune adolescente ne semblait pas décidée à laisser le silence s’installer et te posas une question assez étonnante. Est-ce que tu pouvais vraiment lui parler de tes origines ? Compte tenu de son manque d’éducation plutôt flagrant, ça ne lui évoquerait rien...alors pour qu’elle comprenne davantage, tu attrapas de nouveau ton téléphone et décidas de lui montrer quelques photos. Même si tu n’avais jamais vu rien de tout cela de tes propres yeux, la quantité de souvenirs que tu t’étais constituée avant la rupture pure et simple du pays suffisait à continuer de faire brûler cette flamme en toi.


Tu lui présentas enfin l’écran de ton téléphone après avoir sélectionné ce que tu lui ferais voir.

Photos:

Tu laissas un moment de silence s’installer, le temps qu’elle puisse observer les quelques images que tu lui montrais. Mais tu voyais bien qu’elle rechignait à poser ses petits doigts sur ton écran donc tu continuas de faire défiler les clichés sous ses yeux. Forêts luxuriantes, étendues de montagnes enneigées et aussi prouesses architecturales humaines...toutes ces photos étaient vieilles de plusieurs années mais avec la Trahison tu n’avais plus aucun moyen qui soit à ta portée pour en obtenir de récentes. La beauté d’un pays que tu espérais pouvoir connaître un jour résidait uniquement dans son apparence passée. C’était sûrement pour ça qu’évoquer ce genre de sujets réveillait ton âme d’enfant, bercée par tant d’histoires sur cette mystérieure contrée qu’était la Scandinavie.


Proposer à une enfant que tu connaissais à peine de l’emmener dans un pays situé à des milliers de kilomètres de là, ben voyons Astrid, comme si elle allait te répondre qu’elle était d’accord. Un jour, il était certain que tu y retournerais car tu ne te voyais pas finir tes vieux jours ici...mais parviendrais-tu à traîner tes parents et ta sœur avec toi comme tu l’espérais ? Puisqu’ils avaient initié ce voyage, rien n’était moins sûr...peut-être qu’en fin de compte tu conserverais toujours des attaches en cette terre malgré ta volonté.


Plus maladroite que ça, on ne pouvait pas faire, mais c’était la seule façon que tu avais trouvé pour briser la glace...ou du moins essayer. De ce qu’elle laissait paraître, sa nouvelle vie semblait lui convenir, mais n’était-ce pas qu’une façade ? Si elle osait te répondre, tu en aurais le coeur net.

Une soirée morose

Plus la conversation se tissait, plus tu réalisais à quel point la pauvre enfant ne savait réellement rien du monde qui l’entourait. Mais quelque part, sa naïveté te faisait sourire. Elle s’était visiblement construite sa propre vision du monde...dont certains aspects étaient pour le moins étranges. Un chien à deux têtes ? Un grand projet ? D’après ce qu’elle avait bien voulu te dire, son père était bien plus irresponsable que tu ne l’imaginais déjà...hélas, ta mauvaise impression semblait se confirmer. Il avait juste recueillie cette enfant pour en faire son propre jouet. Il ne cherchait même pas à l’élever, seulement à l’entraîner aussi bas qu’il n’était tombé. Pourtant, un détail te faisait tiquer. Il avait plus de cent ans, et il était encore capable de se battre avec suffisamment de fougue pour ne pas se faire envoyer à l’hôpital par le premier venu ? C’est qu’il y avait quand même des limites à la vie humaine...déjà que vivre jusqu’à cet âge là était rare, on était toutefois rarement dans un état qui puisse rendre envieux qui que ce soit...c’était sûrement une particularité de l’Alter de cet homme, mais tu ignorais de quoi il retournait exactement. C’était possible, que ce genre de pouvoir offre la vie éternelle ? Déjà, au lieu de te poser ce genre de questions, si tu cessais de la regarder bizarrement ?


Pas qu’elle ne t’ait demandé quoi que ce soit du départ, finalement. Ca n’était pas ton enfant donc ce n’était pas à toi de lui faire la morale..cela dit tu avais tout de même le sentiment que cet homme finirait par la faire maltourner, au vu de ses habitudes belliqueuses...s’il l’entraînait sur cette même voie, c’était sûr qu’avec un Alter comme le sien, les héros essaieraient de la stopper, simplement pour qu’elle arrête de tuer de simples innocents. Est-ce qu’il n’avait pas simplement épié la petite jusqu’à se rendre compte du potentiel de son pouvoir avant de décider qu’il en ferait son pion ? Et malheureusement, son manque d’éducation comme la perte de sa famille avaient joués en faveur de cette situation, probablement malgré elle...ça n’était qu’un homme de plus qui aurait mérité ton poing au travers de la gorge, au final, bien loin d’être aussi bienveillant que Momo devait le penser.


Tu te contentais habituellement de l’ordonner, mais tu essayais quand même d’être plus douce avec elle pour ne pas la brusquer, le temps qu’elle comprennes un peu mieux comment tu fonctionnais. En fin de compte, tu t'étais peut-être un peu trop inquiétée pour elle ? Ce bus n’était pas particulièrement rempli et personne n’avait d’air à vouloir nuire à une petite fille...faut dire qu’avec toi à côté ça rendait de suite la tâche moins facile. S’il y en avait eu un qui s’était levé en se sentant pousser des ailes tu l’aurais purement et simplement envoyé au travers de la vitre...et tu te serais attiré des ennuis. Au moins ce n’était pas du temps perdu, la petite semblait t’apprécier et il fallait bien dire que c’était réciproque. Même si ça restait gênant de l’entendre te complimenter...si la pauvre savait tout elle n’en dirait pas autant, mais elle n’avait pas besoin de tout savoir.

« Et...si on mettait de côté les héros, les alters, tout ça, qu’est ce que tu aimerais faire dans le futur ? Tu te vois rester avec ton maître jusqu’au bout ou bien tu préférerais vivre de ton côté ? »

Evidemment, la seconde solution était la meilleure à tes yeux...mais qu’en était-il pour une enfant qui avait connu la solitude et l’adversité au quotidien avant de tomber sur sa première figure d’espoir ? Serait-elle si encline que ça à la laisser tomber pour voler de ses propres ailes ?

Une soirée morose

Même si la raison de l’immunité de cet homme à l’Alter de Momo t’échappait complètement, c’est du moins ainsi que tu voyais sa situation compte tenu de ce qu’elle avait bien voulu te dire. Les troubles d’une orpheline, ses questions existentielles, sa vision complètement différente du monde...étrangement il aura suffit que tu y sois exposée pour réaliser certaines de tes propres contradictions.


Au fond, ça ne t’effrayait nullement d’avoir une enfant comme elle à côté de toi. Tout simplement car il y avait cet espèce d’accord tacite entre vous...elle avait le pouvoir de te réduire à néant et tu avais la force de lui prendre la vie, mais aucune de vous n’en avait rien fait, à quoi cela servait-il donc que vous vous craignez mutuellement ?


Ce n’était pas le genre de sujet facile à aborder en public sans attirer l’attention, sans compter qu’elle ne comprendrait certainement pas l’entièreté des circonstances...c’était triste à admettre mais l’adolescente ne comprenait rien au monde qui l’entourait et ce père centenaire ne semblait pas avoir fait grand-chose pour essayer de corriger le tir. Même si elle t’avait prouvé par ses paroles qu’elle ne voulait pas être un outil, qui sait ce qu’il finirait par en faire un jour. Un cerveau était si facile à laver, surtout à son âge. D’autant qu’elle semblait d’un coup particulièrement concentrée sur le paysage, peut-être que son terminus approchait ?