Promenade de nuit [PV Akimitsu]

Lorsque la nuit s’annonce, la populace retourne dans ses habitations. Et la vie nocturne commence. Les quartiers chauds ouvrent leurs portes, les petites frappes sortent traumatiser les chats de leurs quartiers. Et les chauves-souris se mettent à chasser. Mon client avait terminé ce qu’il avait à faire. Je pouvais donc vaquer à mes propres occupations. Me voilà donc passant de toits en toits aux côtés de mes amies à la recherche de quelque chose d’intéressant à voir ou à faire.

Peut-être instinctivement, je me rapprochais du bar dans lequel j’avais pris pour habitude de me rendre une fois par semaine. Là, où se trouve ce jeune barman qui m’intriguait. Je ne sais pas quoi exactement, mais quelque chose titillait ma curiosité. Avait-il un secret qu’il cachait ? Où était-ce simplement une attirance ? Difficile à dire, toujours est-il qu’à cette heure-ci le bar devait avoir fermé.

Je comptais donc me promener autour de la zone, dans les quartiers et rues aux alentours. Après quelques minutes à sauter à droite à gauche, en guettant les individus plus bas : une silhouette familière se dessinait. Arrêtant ma course, je me penchais au-dessus du vide pour observer cette personne. Oui, il s’agissait bien de lui, pas de doute possible. Le jeune Akimitsu rentrait sans doute chez lui après une dure journée de labeur à servir des clients plus excentriques les uns des autres.

Ou peut-être allait-il quelque part en cachette, seul dans la pénombre ? Peut-être que si je le suivais, j’allais découvrir son secret ? C’était donc décider. Je me mis à le suivre depuis les hauteurs. Faisant attention à ne pas éveiller de soupçons. Dans la ruelle de droite, par la rue à gauche, peut-être, faisait-il simplement une promenade nocturne avant de rentrer chez lui ? Ou peut-être avait-il détecté ma présence et tentait de voir si je le suivais bel et bien ? Il se dirigeait vers une rue un peu plus animée. Je pris les devants et descendis discrètement de mon perchoir, laissant mes amies à leurs envolées.

Je me recoiffais un peu et cachais mon tout nouveau masque que l’on m’avait offert pour "un peu" cacher mon identité. Je me dirigeais ensuite dans la direction de ma nouvelle proie, espérant ne pas paraître rustre en l’abordant en dehors du bar à cette heure-ci. Et surtout en espérant ne pas paraître louche. C’est que si je voulais découvrir pourquoi il m’intriguait, je devais éviter de le faire fuir non ? Au pire des cas, je pourrai toujours demander à mes sentinelles de le suivre à la trace. Mais la chasse aux infos n’en serait que moins intéressante.

Là, il apparaissait enfin. Je me raclais la gorge avant de l’interpeller. Avec un sourire naturel que je ne contrôlais pas vraiment.

« Salut Akimitsu, petite balade de nuit pour se détendre ? Puis-je me joindre à toi ?»

Enfin, face à lui, je le trouvais plus détendu et naturel que d’habitude. Peut-être le stress du boulot qui s’estompait une fois sa journée terminée ? Son sourire n’en était que plus intriguant. Je ressentais une sensation bizarre. Mais bon, c’était sans doute passager.

J’avais obtenu son autorisation pour l’accompagner dans son vagabondage nocturne. J’étais contente au fond de moi.

« Sinon, je peux t’attendre au bar demain, la même chose que d’habitude ? »

C’est vrai que je comptais normalement passer demain soir. C’est que ses cocktails étaient vraiment divins. Je lui répondis en souriant.

« Comme d’habitude oui, ça me permet d’être au taquet le reste de la nuit. »

Après quelques pas, Akimitsu me demanda ce que je faisais avant de venir à sa rencontre. C’est vrai que j‘étais encore dans ma tenue de travail. Heureusement que j’avais caché mon masque sinon il aurait pensé qu’un vampire se baladait en ville pour effrayer la chronique. Même si je l’aimais beaucoup ce masque.

« Je travaillais jusqu’à il y a peu. Il arrive à mon client de devoir travailler tard la nuit. Ce qui m’arrange en soit. Je préfère la nuit après tout. »

Lors de l’ouverture du Sekaï, j’avais révélé travailler dans une boîte d’agent de sécurité. Ce n’est pas vraiment un mensonge puisque je l’étais avant de devenir mercenaire. Puis, je protégeais réellement mes clients donc est ce que ça change quelque chose ? Pas vraiment, juste peut-être le fait que je protège aussi bien de méchants Yakuzas que de pauvres chefs d’entreprise peu scrupuleux à ce que le sale travail soit accomplis. Sans parler de ceux qui pensent pouvoir tout se permettre. L’avantage, c’est que ma planque de fonction était tranquille et je ne risquais pas d’avoir des problèmes.

Qu’en était-il pour Akimitsu ? Je sais que barman est un métier sans doute assez calme comparé à certains, mais le travail devait être épuisant au bout d’un moment non ? Je décidais de lui poser la question.

« Et toi, ce n’est pas trop fatiguant d’être barman ? Tu dois rencontrer pas mal de monde, y compris ceux qui ont l’alcool violent. Vous avez déjà eu des problèmes à ce niveau au Sekaï ? »

C’est vrai que l’ouverture était récente, mais lorsqu’une enseigne est de qualité, le mot tourne vite et attire pas mal de monde. Des vétérans en quête de nouveautés, des habitués en quête de nostalgie, mais aussi des truand en quête de fortune qui force les commerçants à payer une taxe de protection. Comme s’ils les protégeaient vraiment.

Après quelques minutes de marche, mon ventre commençait à faire du bruit. Je n’avais pas encore mangé mon déjeuner de nuit. Je rougissais légèrement avant de sentir une délicieuse odeur de viande grillée. Un vendeur nocturne de brochette était encore ouvert. Quelle aubaine !

« Je meurs de faim, brochettes ça te dit ? C’est moi qui régale. »

Lui dis-je en souriant.

Je repensais à ce qu’Akimitsu m’avait dit. Comme quoi d’autres collègues seraient bienvenue, mais que son patron préférait avoir un pianiste. Pourquoi pas, l’atmosphère serait différent, mais en bien. Enfin, je pense. C’est joli le piano, il joue des mélodies à la fois douces et fortes en émotions. Imaginez l’espace d’un instant pouvoir déguster de bons cocktails accompagnés d’un peu de jazz ou de folk. Il y a de quoi vous détressez de votre journée.

En plus, on ne risquait pas d’avoir de problèmes. Selon ses dires, ils avaient un contrat de protection avec quelqu’un. Une agence de protection ? Des héros ? Ou . . . des yakuzas ? Il fallait creuser la piste. Peut-être plus tard. En tout cas, après que son ventre s’exprima de la même manière que le mien, les brochettes furent une délivrance prodigieuse. À la limite du divin. En plus, elles étaient juteuses. Croquant à pleine dent sur chaque morceau. Mon compagnon en fit de même.

« Attention, tu en as un bout sur la joue. »

J’essuyais sa joue d’un simple geste avant de continuer à manger. Les brochettes, c’est bon, mais attention de ne pas se tâcher. Le gras, c’est chiant à laver. Mais qu’est-ce que je raconte ? Pourquoi je viens d’essuyer sa joue ? Qu’est-ce qui me prend ? J’aurai pu le laisser faire. J’aurai du même, il est assez grand bordel. Je me raclais la gorge.

« Oups, désolé, réflexe. »

Dis-je enfin en souriant et ricanant calmement. Pourtant, je ne l'étais pas, je ne me comporte jamais comme ça pourtant. Ce doit être la fatigue oui. La journée a été longue, c’est pour ça. Puis il fait une de ces chaleurs-là. Pourtant ces temps-ci la température baisse, étrange que tout cela. Une fois les brochettes englouties, je m’arrêtais devant un distributeur pour prendre de quoi nous hydrater. Et surtout pour me rafraîchir.

A ce moment une petite futée fit son entrée, je pointais mon index et elle vînt s’accrocher dessus.

« Coucou ma jolie, tu viens bien que je suis occupée non ? C’est bien parce que c’est toi. »

Je lui grattouillais la tête quelques instants.

« Voici Evelynn, une petite chauve-souris que j’ai recueillie il y a un petit bout de temps maintenant. Elle n’arrive pas à se passer de ma compagnie. »

Ces réactions étaient fortes amusantes, je ne m’en lassais pas. Après avoir fait les présentations, il me lança une petite pique qui ne me laissa pas indifférente. J’étais une mère poule ? Moi ? Vraiment ? Je ne m’étais jamais posé la question . . . jusque-là, mes interactions en dehors du boulot ont toujours étés courtes. J’en avais presque oublié comment agir naturellement. Peut-être qu’Evelynn m’apportait plus que ce que je ne pensais. Je me retournais vers Aki avec un sourire retrouvé.

« Une mère poule hein ? Je prends ça pour un compliment alors. »

Quelques secondes passèrent avant que la discussion ne continue.

« Tu arrives à la comprendre ? »

« Plus ou moins, son attitude en dit long sur elle, mais sa voix est magnifique et sonne comme une petite mélodie au clair de lune. En y repensant, c’est peut-être moi qui n’arrive plus à me passer d’elle . . . »

Continuant de grattouiller sa tête, j’écoutais un instant la nuit. Il y a bien un moment que je n’avais pas pris le temps de simplement l’écouter. Tout ce qu’elle a à révéler. J’embrassais le front d’Evelynn avant de la laisser s’envoler.

« A plus tard ma petite ! »

Je me retournais vers Akimitsu.

« Pour t’avouer quelque chose, cela fait bien plusieurs années que je ne me suis pas simplement promené comme cela en aussi bonne compagnie. J’espère que je ne te dérange vraiment pas. Après une journée chargée, tu souhaitais peut-être rentrer directement te repos- »

À ce moment, mon élastique, qui tenait jusque-là mes cheveux attaché, céda alors qu’une petite bourrasque de vent se présenta. Faisant onduler mes cheveux dorés au gré de son passage. Une fois parti, je ramenais mes mèches derrière mes oreilles.

« Je ne m’attendais pas à ça, je dois avoir une tête ébouriffée maintenant. »

Lâchais-je en rigolant. Bien évidemment, je n’avais pas d’autre élastique sous la main. Je décidais de demander, un peu honteuse, à mon partenaire ici présent de l’aide.

« Tu n’aurais rien pour dépanner ces cheveux rebelles ? »

Tentant en vain de contenir ces cheveux rebelles face au vent, un valeureux héros vînt à mon secours.

« Tiens, c’est le mieux que je puisse faire pour l’instant. »

Akimitsu venait de retirer son nœud papillon. Mais au moment où il vint le retirer : un bouton jusque-là dissimulé dessous, se fit lui aussi la malle. Laissant entrevoir le haut de son torse l’espace d’un instant. J’avais déjà dit qu’il faisait chaud non ? Mes oreilles rougissaient. Quelques secondes passèrent avant que je ne saisisse le nœud. Ça pourrait paraître idiot, mais il avait son odeur. Une odeur particulière que j’aimais bien sentir lorsque je passais au Sekaï . . . Je le regardais quelques instants avant de le remercier.

« Merci beaucoup, je te le ramènerai quand je passerai au bar. »

M’asseyant sur un banc, je commençais à remettre mes cheveux en place. Je n’avais jamais fait une queue-de-cheval avec un nœud papillon. J’espérais que ça rendrait bien. Une fois mes cheveux attachés, je fis un rapide tour sur moi-même pour m’assurer de son efficacité. Prenant ensuite la pause de dos et penchant la tête en direction de mon interlocuteur.

« Qu’en penses-tu ? Ca a l’air de tenir en tout cas. »

Je réfléchissais à un moyen de le remercier, mais pour l’instant, rien de me vînt en tête. Lui qui, pourtant, venait de m’empêcher de rentrer avec les cheveux dans les yeux pendant que je sauterai de toits en toits. Empêchant, sûrement, au passage une mauvaise chute ou pire encore. Fouillant mes poches quelques instants, je récupérais un bout de feuille ainsi qu’un stylo.

J’y inscrivais mon numéro ainsi qu’un petit message :

Si tu as besoin d’aide ou que tu veux juste passer un bon moment, n’hésite pas à m’appeler. J’attendrai.

Suivi d’un petit dessin représentant une chauve-souris avec un cœur. Je pliais ensuite le papier, avant de m’approcher d’Akimitsu, pour lui glisser dans l’une de ses poches. Il commençait à se faire tard et j’avais encore du pain sur la planche.

« Il commence à se faire tard, j’ai passé un bon moment avec toi. J’espère pouvoir te revoir comme ça en dehors du bar. »
Je laissais quelques secondes au jeune homme le temps de me répondre avant de continuer.

« Passe une bonne nuit et à demain au Sekaï, Aki~ et n’hésite pas à lire mon mot.»

Imitant le geste d’envoyer un bisou, je quittais Aki pour me diriger vers les toits et commencer mon retour. Le cœur battant à cent à l’heure. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi vivante. Ce soir certains risquaient d’entendre des ricanements passer au-dessus de leur tête.

Je rentrais à grande allure, sans prendre garde par où je sautais, laissant le vent rafraîchir mon corps. J’avais extrêmement chaud et mon cœur hurlait à pleine puissance. Si bien que je me retenais de ne pas pousser des cris de joie partout où je passais. Ça ne me ressemblait pas du tout et pourtant ça arrivait bel et bien. Comme si la Sayoko d’avant la trahison revenait d’entre les morts. Manquant de trébucher plusieurs fois en ne regardant pas où j’allais.

J’arrivais finalement chez moi, non pas sans peine. Dans l’euphorie, j’avais presque laissé tomber mes clefs dans une bouche d’égout, puis dans un cours d’eau, et enfin dans une poubelle en contrebas. Enfin, chez moi, je me précipitais dans mon lit. Bien que j’étais incapable de m’endormir. Un coup sur le dos, un coup sur le ventre, roulant à droite puis à gauche. On aurait dit une adolescente.

Evelynn, qui était revenue entre temps, me regardait d’un air étonné. « Pourquoi diable se roule-t-elle dans son lit comme une demeurée », devait-elle penser. Je mis un bon moment à me calmer. L’adrénaline était retombée, j’étais assise au bord de mon lit rouge comme du sang frais. Un peu honteuse de mon comportement. Je daignais enfin me lever pour me laver. Sortir une bière de mon frigo avant de m’affaler contre mon lit. En face de moi, mon portable, immobile et silencieux.

En attente, je n’espérais pas un message ou un appel tout de suite. Après tout, je venais à peine de lui donner mon numéro, et je retournerai le voir dès le lendemain. De plus, je ne savais pas ce qu’il allait en faire. Mais je ne pouvais m’empêcher de l’observer. Pendant de longues minutes. Avant de m’assoupir d’une longue et merveilleuse journée enfin terminée.

Rêvant d’un beau et séduisant barman. Me servant un délicieux baiser de la veuve dans le meilleur bar du Japon. Accompagné d’une musique enivrante. Espérant que ce rêve ne cesse jamais.