Un peu de musique pour commencer la journée [Shibuya Sora]

- Nii-chan ! Tama veut pas me dire où elle a cachée mes jouets !
- J’essaye de me coiffer-là ! Tama, rends ses jouets à Chiiro !
- Nii-chan ! Hiro a dit que j’avais une tête de crapaud !
- Quoi ?! Je t’autorise à lui montrer les bonnes manières !
- Nii-chan ! Viens jouer avec nous !
- J’peux pas, j’ai mon train dans 10 minutes faut que je file !
- Tu ne partiras pas sans prendre ton petit-déjeuner !
- Désolé grande soeur, je prendrais un sandwich sur le chemin ! Je vous aime !

Je déboule les escaliers avant de passer par la porte d’entrée comme une flèche, les oreilles sifflant encore de toute cette cacophonie habituelle à l’orphelinat. Je me met à courir en espérant ne pas manquer le premier train pour aller à l’école, je n’ai pas envie de me retrouver dans le trafic pendant les heures de pointes ! Tout serait plus simple si j’avais décidé de m’installer dans les dortoirs de Daiki, mais il fallait avouer que si je n’étais plus à l’orphelinat les enfants finiraient par s’entretuer ! Est-ce que c’est le genre de problèmes que doivent gérer les familles ? Tempérer les ardeurs des plus jeunes ? Si c’est le cas j’espère ne pas devenir père de famille, les petits à l’orphelinat me rendent déjà fou ! Enfin bref, j’arrive à prendre le train pour Shinjuku au dernier moment, inspirant profondément. Je pense que je suis bon pour le sport ce matin, j’ai les jambes engourdies à force de cavaler.

Ce qui est pratique quand on est dans le train c’est qu’on plonge dans un autre monde. On a la sensation que tout est suspens autour de nous et qu’on peut se plonger dans ce que l’on veut. Certains en profitent pour dormir, comme ce trentenaire assit à côté de moi, d’autres en profitent pour lire leur webtoon préférés sur le téléphone. Quant à moi je sors de mon sac un livre, à propos de Daiki. Je mets des écouteurs sur mes oreilles et je me plonge totalement dans la lecture. Cela ne faisait pas longtemps que j’étais à Daiki, j’étais un petit nouveau et il fallait que je rattrape mon retard. Redoublant comme j’étais. Mais je ne perdais pas espoir, même si c’était assez surprenant d’être envoyé à cette école, ce n’était pas une si mauvaise surprise que ça. Chaque école à sa propre réputation, et même si Daiki n’était pas connue pour être la plus efficace et la plus puissante, elle prônait des valeurs auxquelles j’adhérais.

De plus, les quelques personnes que j’ai pu croiser à Daiki étaient assez sympathiques, peut-être qu’ils étaient gentils uniquement à un nouveau comme moi, mais ça me faisait quand même plaisir. Il faudra que je fasse rapidement mes preuves et que je prouve à cette école que ce n’était pas une erreur de m’avoir choisie ! Je changeais de train avant d’arriver à ma destination. L’école était très vivante de bon matin, il y avait tant de personnes différentes ! Au collége les uniformes étaient trop sobres, mais je dois avouer que je me plais bien à l’uniforme de Daiki. Je retire les écouteurs de mes oreilles et je commence à marcher dans les couloirs. Il y avait pas mal de bruit, les élèves se saluant, courant à droite et à gauche parce qu’ils sont de corvée aujourd’hui. Je regardais sur mon téléphone le programme que je suivais… et il fallait l’avouer, j’étais un abruti. Lors de mon inscription on m’a demandé dans quels cours je souhaitais faire dans mes horaires libres, s’il y avait des activités qui m’intéressaient. Et moi, gros bêta comme je suis, j’ai coché toutes les cases sans réfléchir. J’étais si stressé !

La première période était libre pour la majeure partie des élèves, de ce que j’ai compris c’était pour leur permettre de se rendre à un club et pratiquer leur activité favorite. Si moi j’étais à l’école aussi tôt c’est parce que pour commencer la journée je devais me rendre dans la salle de musique. Je me demande c’était quand la dernière fois que j’ai assisté à un cours de musique… À partir du collège ils n’enseignaient plus vraiment grand chose de ce côté-là, à moins qu’on ne sorte des sentiers et qu’on parte soi-même à la recherche de ce genre d’enseignement. C’est plutôt triste, mais dans un sens je ne peux pas vraiment en vouloir à ceux qui ne s’intéressent pas à la musique : ce n’est tout simplement pas une période propice. Depuis le jour de la Trahison, les nouvelles générations d’étudiants (qu’ils soient dans un cursus héroïque ou non) ont une nouvelle vision sur la société, et il y a une certaine urgence qui s’en dégage. Si on ne décide pas de rapidement s’intégrer à un moule, on risque d’être écarté par les autres et de se retrouver seul. Et je ne dis pas ça avec de la mauvaise foi, moi-même ayant décidé de rejoindre une école héroïque. J’espérais juste que pour tout le monde leur choix de carrière soit animé par leurs convictions, et non pas par nécessité.

Mais wow ! Me voilà en train de faire un véritable tunnel tout seul dans ma tête. J’étais tellement absorbé par ce à quoi je pensais que je n’avais pas remarqué les couloirs se vider graduellement, jusqu’à ce que soit quasiment désert. J’avais toujours mon téléphone à la main, mon programme pour la journée toujours en display. Oui ! La classe de musique ! Je jette un regard sur la carte du campus, essayant de me repérer dans ce labyrinthe d’éducation. Il ne fallait pas que j’arrive en retard ! Heureusement, j’ai fini par entendre une mélodie à l’autre bout d’un couloir, j’espérais au fond de moi que c’était dans la direction du cours de musique. Je me suis mis à courir et j’ai glissé sur plusieurs mètres avant de m’arrêter en coin de la porte, m’accrochant à cette dernière avant de dire à haute voix :

- Shibuya Sora, 1ère année ! Désolé pour le ret… ard ?

À ma grande surprise il n’y avait qu’une seule personne dans la classe. Une adulte qui jouait du violon. J’ai commencé à paniquer en me demandant si je ne m’étais pas trompé d’endroit, mais très vite j’ai remarqué les autres instruments posés par-ci et là, ce qui me rassura. J’entrais dans la pièce, un peu nerveux alors que je rangeais mon téléphone dans ma poche, mon autre main s’agrippant à la sangle de mon sac à dos. Sourire léger aux lèvres, je m’adressais à la dame.

- Vous devez être la professeure de musique. Il y a bien cours aujourd’hui ? Ou alors je suis le premier arrivé ?...

J’espérais au fond de moi que je ne serais pas le seul à participer à ce cours… Mais à quoi bon espérer ce qu’on ne peut pas contrôler ? Je n’avais qu’à faire ce que je savais faire : me donner à fond dans ce que je fais !

La délicate mélodie prenait fin et mon coeur se resserrait un peu. C’est le genre de situation où on sait que tout peut arriver. Après tout, je ne connaissais pas la dame en face de moi, et si elle était du genre énervée ? Et si elle n’était pas prof ? Et si elle m’ignorait ? Je déglutis inconsciemment en repassant dans ma tête les pires scénarios possibles, après tout je ne savais juste pas qui j’avais en face de moi ! Mais bon, toutes mes craintes étaient rapidement balayées par le ton gentil et accueillant de la professeure de musique. Hanabusa Tara, qu’elle s’appelait. Je pondérais quelques secondes sur le nom, savoir s’il me disait vaguement quelque chose… Mais ça faisait mal d’avouer que je n’étais pas vraiment du genre à m’intéresser sur les gossips ou à regarder la popularité de certains héros. Je me redressais un peu plus lorsque je me souvenais que les professeurs dans les écoles héroïques étaient, en majorité, des héros actifs. J’avais donc en face de moi une héroïne ! Même si ce n’était pas la première fois que je croisais des héros dans les couloirs de Daiki, et que je savais que cela finira par très vite devenir une habitude avec le temps, je continuais d’avoir des étoiles dans les yeux lorsque j’étais face à eux. Après tout, c’est pour être du même calibre qu’eux que je me suis inscrit !

Mais j’étais quand même surpris lorsqu’elle confirma mes doutes : j’étais le seul élève présent aujourd’hui. La confusion se lisait assez facilement sur mon visage, avec mes sourcils levés et ma bouche à moitié ouverte. Aucun son ne sortait immédiatement de ma bouche mais je me mettais une tape spirituelle dans le dos pour me redonner un boost et je produisais un sourire confiant en me pointant avec le pouce.

- Juste vous et moi c’est ça ? Alors je vais devoir rentabiliser votre temps de travail en m’investissant à la place des autres !

Prétentieux ? Pas du tout ! Tant que je pense sincèrement ce que je dis tout va bien ! Je regardais autour de moi pour avoir un meilleur visuel de la classe, là où se trouvait chaque instrument etc. Je me grattais la joue tout en réfléchissant, avant de m’adresser à la professeure.

- Je suis assez curieux, quel lien on peut faire entre un cursus héroïque et des cours de musiques ? Est-ce qu’il faut juste apprendre d’un instrument ou bien vous avez prévu d’autres choses ?

Je disais ça tout en tournant autour des instruments, passant mes doigts sur une note blanche du piano et sursautant légèrement lorsque la note a commençait à résonner dans la classe. Je tâtonne jusqu’aux instruments à cordes et je reste quelques secondes face à une guitare électrique.

- Woah ! Une guitare Ibanez ! Je peux l’essayer ? J’ai toujours rêvé de jouer mes morceaux favoris sur ce genre de guitare !

Ouais bon, je reste un gamin devant des jouets quand je suis face à des bijoux sonores.

J’ose à peine imaginer à quel point je devais être intenable pour ceux autour de moi. Dès que j’ai l’occasion de bouger, de parler, de faire une action il fallait que j’y aille à mon rythme : c’est-à-dire vite. Voyez ça comme une conséquence directe de mon corps qui possède une haute tension, j’ai énormément de choses qui me traversent la tête, mon corps m’envoie des pics de signal toutes les secondes pour que je bouge, que j’agisse, que je fasse un truc quoi ! Parfois c’est épuisant, même si je suis capable de baisser ma propre tension pour pouvoir passer à une vitesse inférieure, c’est encore plus fatiguant ! Donc j’ai appris à vivre avec, à faire avec mon propre corps et ses tics plutôt que de l’affronter et de rejeter ce que je suis. Du coup pas étonnant que la professeure me voit aller de droite à gauche, observant une batterie sous plusieurs angles avant d’aller inspecter une basse posée à côté d’un violoncelle. Et même si je n’en donnais pas l’impression, je gardais toujours un oeil et une oreille à l’attention de la professeure !

▬ Hmm utiliser son alter comme instrument, oui je vois… Eh ? Vous êtes aveugle ?!

Je me retournais quasi-instantanément, donnant l’impression de me casser le bassin si on me voyait faire. Je sais que j’ai dit plus tôt que les pensées de mon cerveau allaient et venaient comme elles le sentaient, mais ça ne faisait pas de moi quelqu’un d’intelligent ou quelqu’un de rapidement faire des conclusions ! Enfin, pas tout le temps quoi. C’est donc à ce moment que je regardais plus en détail le visage de la professeure, remarquant le fameux bandeau noir qui couvrait ses yeux. Elle était donc bien aveugle… Et pourtant, elle agissait et s’adressait à moi comme si elle savait pertinemment où j’étais et ce que je faisais. C’est pour ça que je ne l’avais pas tout de suite remarqué ! Ca voudrait dire que son alter lui permettait de voir malgré son handicap ? Si c’était comme elle le décrivait, c’était incroyable !

▬ Wow vous devez être super forte pour faire ce que vous faites malgré votre handicap, je respecte vraiment ça ! Je sais ce que ça fait de vivre avec des règles différentes des autres, donc vous pouvez être certaine que je vous soutiens à fond !

Pendant que je prenais la guitare électrique en main (après avoir eu la permission de professeure Hanabusa, bien sûr), je réfléchissais à ce qu’elle avait dit à propos de gagner en patience et en concentration. Je passais la sangle de l’instrument par-dessus ma tête, me demandant si je pourrais utiliser mon alter autrement qu’en renforçant mes prouesses physiques ? Et si, en accélérant mon flux sanguin pour privilégier l’apport d’oxygène dans ma tête, je pouvais réfléchir plus vite ? Ou, à l’inverse, réduire mon flux sanguin pour économiser l’oxygène dans mon corps et donc prolonger mon temps en apnée ? Je commençais à avoir la tête qui surchauffait à essayer de trouver des idées, mais lorsque je posais la main sur le manche froid de la guitare, je me calmais aussitôt, fixant les cordes de l’instrument…

▬ Bon… qui ne tente rien n’a rien…

Je passe mes doigts le long des cordes, avant de commencer à pincer l’une d’entre elles… aucun son ne sort. Je me frappe le front avec la paume de ma main.

▬ Ah ! Je ne l’ai pas branchée à l’ampli !

Je rectifiais rapidement à cette gaffe en prenant la prise jack de l’instrument et en allant la brancher à un ampli située tout près. A peine branchée et l’ampli allumé, le moindre frottement contre les cordes relâcher un bruit métallisé assez perturbant. Je fronçais des sourcils en souriant, un peu gêné, tandis que je réglé l’ampli de sorte à couper la distorsion du son.

▬ Je pense m’essayer sur du clean avant de passer à la distorsion…

J’inspirais un bon coup avant de commencer à passer mes doigts sur la guitare, plusieurs sons commençant à sortir au fur et à mesure que je grattais les cordes. C’était une musique simple à la guitare, un client du garage où je travaillais s’y connaissait en son et il m’avait montré pas mal de vidéos avec des tutos, des explications sur les notes etc. Bien sûr, c’était la première fois que je m’essayais à une guitare électrique, et vu que je ne pratiquais pas quotidiennement la mélodie que je produisais avec quelques saturations, notamment lorsque je devais frotter le manche pour faire vibrer la sonorité. Si je devais donner mon propre avis sur ma performance : enfantine. J’étais bien loin de savoir jouer et l’écouter de mes propres oreilles mettait un sacré coup dans ma confiance en soi.

▬ … Je ne pense pas être si bon, ha ha ha…

Et pourtant… mes yeux restaient rivés sur la guitare, ne voulant pas la lâcher un seul instant alors qu’un sourire béat se dessiner sur mes lèvres.

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