« Maman... »
Ta mère était allongée, en sanglots. Encore. Tu t'y étais habituée, et pourtant, tu sentais ton coeur se déchirer à chaque fois. Elle essayait, fort - du mieux qu'elle le pouvait -, de te convaincre que ce n'était pas de ta faute. Que tu n'y étais pour rien. Même si par ton arrivée en ce monde, tu lui avais définitivement fermé l'accès à une famille complète. Cette femme, ta mère, qui rêvait depuis toujours à sa famille de deux enfants. L'accouchement te permettant de venir au monde ne s'était pas passé comme prévu. Tu ne savais pas les détails. Tu savais juste que ta mère allait devoir se contenter de toi.
Elle t'aimait.
Mais elle ne pouvait pas être amplement heureuse. Tu n'étais pas suffisante. Ce sentiment, tu le percevais, malgré ton jeune âge. Tu ressentais les émotions négatives qui enveloppait votre demeure. Tu essayais de sourire et de la réconforter, mais ça ne fonctionnait que très peu. Ta génitrice était inconsolable.


Tu avais vu ton père revenir à la maison tard, ce soir là. Ce n'était pas la première fois. Il partait souvent, en ce moment. Il revenait à des heures incompréhensibles. Son travail ne finissait jamais aussi tard.
« Papa... Où étais-tu passé ? »
Il était souriant. Mais en te voyant, il avait l'air inquiet. Il avait passé sa main derrière sa tête, nerveusement. Puis, il s'était simplement remis à sourire en venant ébouriffer ta tignasse rousse. « Ce n'est rien ma puce, papa avait quelques courses à faire. »
Des courses...
Papa. Pourquoi avais-tu donc les mains vides ?


« Et voici Kaede, ta grande sœur. »
Tu ne comprenais pas. On ne t'avait pas prévenu. C'était une surprise, autant pour toi que pour Kaori, ta nouvelle petite soeur. Tu observais ta mère, confuse. Elle souriait. Un sourire sincère, chaleureux. Tu n'avais pas vu cette expression sur son visage depuis bien longtemps. Tu observais la jeune fille à la chevelure rouge qui se tenait près de ton père. Une... adoption ?
Tu n'allais apprendre la vérité que plus tard. Pour les premiers instants de votre rencontre, ce n'était qu'une adoption à tes yeux, et pour toi, ce geste était beau. Tu t'étais approché de Kaori, un sourire timide se dessinant sur tes lèvres. Puis, tu lui avais tendu tes mains frêles. Elle semblait nerveuse, elle aussi. « C'est un joli nom, Kaori. »
Ce geste montrait ton acceptation ; tu étais d'accord qu'elle se joigne à la famille. Même si, au fond, tu ne savais pas comment réagir. Tu avais peur. Peur d'être rejetée, peur d'être remplacée. Mais l'ambiance familiale n'était pas rose, et tu préférais voir tes parents heureux plutôt que d'être égoïste. Tu ne t'attendais pas à ce que vous soyez proche aussi facilement, tu n'en avais pas forcément envie non plus. Mais tu allais passer au-travers cette épreuve malgré tout.


Deku était le nom du chien de votre famille. Un shiba inu, plus précisément. C'était un adorable toutou, un animal doté d'empathie, une boule d'énergie, mais surtout, ta source de réconfort dans les moments difficiles. Deku avait toujours su te remonter le moral, en toutes circonstances. Mais en ce jour, c'était avec les yeux gorgés de larmes que tu constatais son décès. Il était vieux, Deku. Un grand papa chien. Il avait eu une belle vie, une longue vie. Tu refusais de lui dire adieu. Il ne pouvait pas te quitter... pas maintenant.
C'était impossible.
« Vous voulez lui dire une dernière chose, les filles ? »
Tes larmes coulaient encore plus. Tu étais incapable de te retenir. Tu n'en avais jamais été capable. Tu vivais tes émotions un peu trop intensément. « Deku, ne pars pas s'il-te-plaît... J'ai besoin de toi. Je ne veux pas vivre sans toi, je... » Tu hurlais ces mots à plein poumons, comme un cri de désespoir. Tu étais impossible à consoler. Et pourtant, ce jour là, ta soeur y étais parvenue. Tu ne savais pas comment, ni pourquoi. Mais sa présence t'avais permis de passer au-travers. Savoir que tu n'étais pas seule, c'était sans doute la seule chose dont tu avais besoin à ce moment-là.


« Ne touchez pas à ma soeur ! » La colère s'était emparée de toi. Toi qui, d'habitude, était si calme, tolérante et douce. Une jeune fille capable de contrôler sa rage. Cette fois-ci, tu en avais été incapable. Kaori était impliquée et tu ne pouvais pas permettre ça.
Une chaleur intense s'était faite ressentir au-dessus de ton crâne, à ce moment-là. Tes cheveux étaient devenus volcaniques. Tu étais un volcan en éruption, une luciole dévastatrice. Mais lorsque les deux garçons - ceux qui s'amusaient à embêter ta soeur - ont pris la fuite, tu t'es calmée. Tes cheveux avaient repris leur douceur et leur couleur naturelle que tu connaissais bien. « Est-ce que tu as vu ça, Kaori ? »
Évidemment qu'elle avait vu ça.
Tu venais de découvrir ton alter, grâce à elle. Grâce à ton désir de la protéger. Le feu qui brûlait en toi s'était réveillé.


Cinq minutes.
Finalement, il lui aura fallu moins de temps pour partir. Solem avait quitté le champ de bataille. Solem venait d'abandonner la population. Kaori était désemparée. Elle t'avait écrit, instantanément. Tu ravalais ta salive, essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Tes mains tremblaient. Tu ne savais pas si c'était la colère, ou... de l'inquiétude ?
Au final, retrouver ta soeur aura été plus important pour toi. Plus important que te poser des questions sans réponses. Tu t'étais précipitée, tu étais allée la retrouver et tu l'avais prise dans tes bras. « J'ai vu... » Tu savais ce que cela devait représenter pour elle. Tu osais à peine l'imaginer. Tu mettais de côté tes pensées négatives ; tu avais besoin de rester forte pour Kaori. Il ne fallait pas céder à la panique, cette dernière allait être suffisamment présente, partout, à partir d'aujourd'hui.



« Je deviendrai une héroïne. Il n'avait pas le droit... Je- » Ton père t'écoutait attentivement, un sourire approbateur dessiné sur son visage. Il passait une main dans tes cheveux roux, il était fier de toi. Comme si ces mots, ceux que tu étais en train de prononcer, il les attendait depuis longtemps. Il le savait. C'était ton destin. « Je dois faire mieux que lui. Je peux faire mieux que lui. »
Avec le temps, tu avais développé une certaine haine à l'égard de Solem. Contrairement à ta petite soeur qui, sans lui en vouloir, souhaitait comprendre ses raisons, toi, tu n'arrivais pas à concevoir sa décision. Rien ne pouvait justifier ça. C'était un des rares sujets que tu ne voulais surtout pas aborder. Ton objectif était de redorer l'image des héros, en devenant toi-même l'un d'eux. De prouver que Solem n'était pas l'unique définition de l'héroïsme. Que l'abandon n'était pas la seule option. Tu allais faire mieux que lui ; tu n'allais pas répéter ses erreurs.
« Il n'a qu'à bien se tenir, n'est-ce pas ? »
Un rire nerveux.
Ton père te soutenait. Il comprenait tes intentions. Il savait que tu en étais capable. Il était sans doute inquiet, et ta mère encore plus. Tes parents voyaient leurs deux filles s'enrôler dans le métier de héros, une pente glissante, mais une voie qui allait vous permettre - à toutes les deux - de vous épanouir et de vous surpasser et, c'était tout ce qui comptait.



Tu tapais frénétiquement sur les boutons de ta manette, tout en causant avec ta communauté en live. « Eh les gars, je vous ai pas dit, j'ai été accepté à Zaisen. Vous allez peut-être bientôt voir ma tronche de flammes à la télé, qui sait. » Streameuse. C'était ta principale occupation, même si désormais, ça allait changer. Tu allais entamer les cours pour devenir héroïne. C'était officiel.
Ta communauté était grandissante.
Tu te sentais appréciée, acceptée, et tu jouais aux jeux vidéos quotidiennement. Tu aurais pu t'en contenter, mais tu savais au fond de toi que ce n'était pas suffisant. Ta vie ne serait pas complète si tu ne suivais pas ta voie de devenir un héros. Tu ressentais le besoin de le partager à tes abonnés. Un héros avec une fanbase déjà établie, ce n'était pas anodin.
« Bon allez, je dois essayer de passer une nuit convenable ce soir, j'imagine ? Sinon je vais trouver le moyen d'être en retard à ma première journée. Ce serait naze, pas vrai ? J'dois faire bonne impression, c'est important. »


Ce live datait d'il y a un peu moins d'un an. Aujourd'hui, ta soeur commençait les études à son tour. Ton souhait était de pouvoir être là pour elle, bien que vous n'alliez pas pouvoir être ensemble bien souvent ; vous étiez dans la même école (et cela t'emplissait de joie), mais pas en même année. Tu savais qu'elle serait une bonne élève, malgré ses sauts d'humeur, et qu'elle deviendrait un héros respectable. De ton côté, tu avais les meilleures notes de ta classe, et tu ne savais pas comment, étant donné que tu arrivais régulièrement en retard à cause de tes nuits blanches. C'était ton destin, n'est-ce pas ? Tu n'avais pas vraiment besoin de faire d'efforts pour performer, et ça t'arrangeait. Malgré tout, tes collègues de classe étaient là pour les mêmes raisons que toi, et tu voulais que le Japon soit protégé par des futurs héros fiables et bienveillants.

Tu les aidais, leur donnais des conseils.
Tu étais une élève modèle, malgré tes retards et tes siestes improvisées de quelques minutes en plein milieu de journée. Tu te réveillais souvent en sursaut, hurlant que tout allait bien, que tu étais bien réveillée, ce qui causait des fou-rires de la part des étudiants et des soupirs de la part des professeurs.

Au moins, Kaede, tu étais divertissante.
Tu étais une étincelle.