get away from here - kaze

L’école.

T’en garde pas que des bons souvenirs. Ceci dit, est-ce qu’il y en a eu au moins ? T’es pas sûre. C’était pas une bonne période quand même. Et de toute façon, quand est-ce que ta vie a été bien, hein ? Putain, quand tu repenses à tous ces rêves brisés là. Ces années de mensonges qui t’ont poursuivi. Ce que t’as pu détester tes parents pour ça. Pendant onze ans ils t’ont dit « T’inquiète ma fille, t’es juste pas comme les autres, ton alter va mettre plus de temps avant de se réveiller. » Onze ans de balivernes incessantes et de bouffées d’espoir données en guise d’oxygène (tu as manqué de t’étouffer le jour où t’as appris la vérité). T’as avalé la pilule aujourd’hui (quoique, parfois, t’as encore l’impression qu’elle est coincée au fond de ta gorge) mais t’as des phases où tu y repenses et ça te met mal. Ça te donne le cafard et ça t’fais déprimer. T’aimes pas quand t’es comme ça, parce que t’as choisi d’être forte.

Mais aujourd’hui, pour un type qui est venu te trouver l’autre soir, tu vas devoir t’immiscer dans les locaux de Jushō. T’es à la fois emballée et terrifiée à l’idée. T’as toujours rêvée de savoir à quoi ressemblaient ces écoles dans lesquelles on formait les nouveaux héros. Ces écoles que toi, t’as jamais pu intégrer parce que la vie t’as dit d’aller bien te faire voir. T’as beau avoir vingt-cinq piges, ouai, t’es pas bien à l’idée de devoir mettre les pieds là-bas. Mais y a une bonne récompense de quelques milliers de yens à la clé, alors forcément, tu vas aller t’y faufiler.

Durant l’trajet que t’as décidé de faire à pied (comme pour repousser l’échéance au plus loin malgré tout), t’as essayé de te préparer mentalement. Tu le fais souvent quand t’as une mission un peu périlleuse de ce genre qui t’attends ; sauf que là, c’est différent. T’essaies de balayer toutes ces pensées parasites qui menacent de t’envahir l’esprit si tu fais pas quelque chose pour les en empêcher. Il ne faudrait pas que tu sois déconcentrée. On parle quand même de pénétrer dans l’école « de l’ombre » un peu. T’as eu quelques échos concernant l’établissement et son directeur mais c’est vrai que globalement, t’as jamais trop cherché à en savoir plus. T’as sûrement déjà vendu des informations à des héros de Jushō mais t’es pas (plus) de la police, tu demandes pas une carte d’identité hein. Un chèque suffit pour te faire parler.

Tu t’es arrêtée et t’as fumé une clope quand t’as eu le bâtiment dans le visu. Tu l’as fixé, un long moment. Tu t’es d’mandé si c’était vraiment la bonne solution. P’t’être que t’aurais pu faire chanter un élève ou quoi afin de t’éviter d’y rentrer. Mais t’as pas le choix, t’as promis des info dans les plus brefs délais. Parfois, tu t’détestes quand tu fais ça. Y aurait moins à la clé, t’aurais retardé d’un jour ou deux. Sauf que tu peux vraiment pas. Tu soupires donc avant de jeter ton mégot par terre et de l’écraser (sans prendre la peine de le ramasser). T’inspires un coup quand t’es devant l’entrée. T’observes les alentours, vérifiant qu’il n’y ait personne. C’est la journée, les mômes doivent tous être en cours en train de faire mumuse avec leurs Alters de merde. Du moins, tu mises là-dessus, sinon t’es morte. Tes lunettes qui tombent sur ton nez, tu t’engages (tu ne peux plus reculer).

T’es pas tranquille. T’es sur la défensive, les pupilles qui sautent d’un endroit à l’autre à la vitesse d’un éclair. Tu t’sens pas à l’aise, encore moins à ta place. T’étouffes. Enfin, tu continues ton chemin, et quand tu retournes la tête pour regarder devant toi, y a quelque chose d’hyper chelou qui se tient devant toi. Tu fais un bon en arrière, plaçant tes bras devant toi comme pour te préparer à attaquer ou à te défendre en fonction de ce que ce truc préparer. Putain, y a vraiment des choses bizarres. Un air de dégoût sur le visage, tu balances :

« Esh, t’es quoi toi ? Tu m’veux quoi ? Dégage de mon passage, j’ai pas qu’ça à faire ! »

T’essaies de paraître assurer ; mais au fond tu n’es vraiment pas bien.  

Kaze n’était pas une étudiante modèle.
Kaze n’avait même jamais prétendu l’être, et c’est cette éthique douteuse qui lui avait offert une place à Jusho – en plus d’autres détails.
Si bien que Kaze, cette journée-là, avait décidé qu’assister à son cours n’avait rien d’intéressant. Quand son frère était là, elle était un tout petit peu plus assidue, un peu plus présente, mais désormais, son esprit vagabonde et elle s’emmerde. Elle s’emmerde à rester assise, elle s’emmerde à prétendre écouter, elle s’emmerde entourer de personnes qui ne la connaissent pas et qu’elle ne veut pas connaître non plus. Kaze est seule et cette solitude, elle l’a créée et provoquée parce que son frère et Zed lui avaient toujours suffit.
Mais sans son frère, sa solitude prenait une teinte amère. – it’s so loud inside my head with words i should’ve said –

Soupir mourant sur les lèvres de cette étudiante alors que ses pas résonnaient dans les couloirs. Ou plutôt s’étouffaient dans le silence, parce qu’à Jusho, ils apprenaient la discrétion. Et Kaze était discrète. Avancer sans trop de but. Au moins, dans les couloirs, quand tous les autres étaient occupés à être en cours, Kaze avait la paix. Personne pour remuer un peu trop d’air autour d’elle, personne pour déranger sa bulle un peu trop grande peut-être, personne pour la déranger. Pas de Mori Kakeru auquel lancer des regards assassins. Enfin, elle pouvait respirer.
Zed explorait autour, s’approchait des murs, s’éloignait dans la limite possible – c’est-à-dire uniquement 5m – alors qu’elle avançait dans les couloirs. Tranquille. Elle pouvait respirer à pleins poumons sans qu’on ne dérange son existence.

Un arrêt. Une pause.
Zed s’était figé et Kaze connaissait son Alter : Zed était réactif quand quelqu’un ne devait pas être là et que pourtant, c’était le cas. Un arrêt, une pause. Alors qu’elle tend l’oreille pour entendre des pas moins discrets que les siens. Un arrêt, une pause. Qui pourrait bien se trouver dans les couloirs actuellement ? D’un geste très léger, Kaze fait signe à Zed de se diriger vers le bruit, de faire réagir, de trouver l’origine. De provoquer une réaction. Si c’était un prof, on l’appellerait. Si c’était un prof, on clamerait son nom et on lui dirait de retourner immédiatement en cours sinon les conséquences pourraient s’avérer désastreuses. Mais Kaze savait qu’elle ne risquait pas sa place, elle avait de trop bonnes notes et son potentiel était trop désiré pour qu’on puisse la virer. Elle ne manquait pas d’assurance et de connaissance sur son statut à l’école.
Mais ce n’était pas un enseignant. Pas à la voix qui s’élève, qui s’exclame, qui insulte presque Zed et Kaze grince des dents. Elle n’aime pas qu’on s’adresse ainsi à son Alter. Elle ne peut pas voir Zed qui tourne autour de la personne, mais rapidement, elle tourne le couloir et observe cet Alter qui tournoie et qui s’approche même très – trop – près du visage de la personne qu’elle ne reconnait pas.

« C’est Zed. Et il mérite davantage de respect. » Elle s’était approchée de la personne, l’avait dévisagé de haut en bas, de bas en haut et elle avait haussé les épaules. Clairement, cette personne n’était pas de l’académie et n’avait strictement rien à y foutre. « J’dois alerter le directeur ou tu vas gentiment foutre le camp de l’académie ? » Sourire mauvais sur les lèvres, sourire mauvais sur le visage. Cynisme à toute épreuve. Kaze ne changeait pas, on ne la changeait pas. Cette personne avait le droit au même traitement que les membres de sa classe, avec encore plus de froideur que les autres. « J’peux te raccompagner, si t’es perdue. Mais je te conseillerais de ne pas tarder à choisir. »
Elle tendit le bras pour indiquer à Zed de revenir et il vint se poser sur son épaule en fixant l’étrangère.

T’as quand même pas de bol. Et ce, sur toute la ligne. Non mais sans rire, t’avais déjà pas envie de venir, tu fais quand même l’effort, et à peine au bout de cinq minutes, tu tombes déjà sur un truc bizarre. C’est quoi en plus ? C’est tiré d’un Alter ? Fichus altérés. C’est un animal génétiquement modifié qui s’appelle Médor et qui fait le chien de garde ? T’en sais rien mais gosh, que c’est pas beau. Ça te fait vraiment flipper ce truc (t’aurais sûrement déjà décampé si t’avais pu ; mais t’as quand même une certaine fierté et puis t’es pas là pour te balader non plus). Peut-être que c’est pas dangereux et que ça va disparaître au bout de deux minutes. Si il voit que t’as pas d’Alter, il pourra pas te considérer comme une menace, hein ?

Tu mises là-dessus.
Mais tu kiffes pas la façon dont il se rapproche de ton visage. Tu bouges pas parce que tu dis que ça pourrait potentiellement empirer les choses, mais bon sang que tu kiffes pas.

Sauf qu’il y a une voix qui résonne d’un coup dans ce couloir si silencieux (si vide de quelconques présences humaines) et ça te fait sursauter. T’as les yeux qui s’écarquillent tandis que tu fais volte-face, oubliant le truc chelou tout proche de toi. Zed ? What the fuck ? Ce truc lui appartient ? Mais c’est qui elle, une de la direction ? Nan, elle en a pas l’air ; on dirait plus une élève. Qu’est-ce qu’elle fout là alors, elle sèche ? Un sourire narquois se dessine sur ton visage quand elle demande si elle doit alerter le dirlo ou si tu vas dégager d’ici. Marrant pour quelqu’un qui ne semble pas être en règle, tout comme toi quoi. T’aimes bien l’expression qui flotte sur son visage, tu sens que tu vas bien t’amuser tiens. Ton poing vient se plaquer sur ta hanche quand elle continue son petit speech tout en te demandant si elle doit te raccompagner ou non et que tu ferais bien de vite choisir.

Ouuuuuh, ça va être fun.

« Pourquoi il mérite du respect ? C’est quoi c’machin hein ? »

Ouai tu la provoques mais sincèrement, t’as bien envie de savoir ce que c’est quoi. Bruh.

« Amusant. Tu dis ça alors que tu te trimballes dans les couloirs. Y a personne, j’imagine que c’est pas la pause. Alors qu’est-ce que tu fais ici, hein ? Tu sèches ? Moooh que c’est pas beau ! »

Dis celle qui n’était pas la plus assidue en cours. Passons.

« J’peux me raccompagner toute seule. Sauf j’ai pas fini mon tour ici, donc j’compte pas partir maintenant. »

Pourquoi t’as dis ça ? Ça t’amuses de vouloir éveiller les soupçons, hein ? Et voilà que tu fais un pas, puis deux dans la direction de l’inconnue. Peut-être que tu pourrais lui soutirer des informations ?

« Mais dis moi, c’est une héroïne professionnelle que tu veux devenir ? Comment as-tu fini dans cette école ? »

Parce que toi, tu sais pas comment ça fonctionne. Tu sais pas comment on entre dans une école de ce type, puisque la vie t’as foutu un gros stop.