L'odeur du sang attire les charognards [PV Hokori Kai]

Cela faisait bien dix bonnes minutes qu'elle suivait sa cible dans les rues nocturnes du quartier des plaisirs, se fondant sans aucune peine dans la masse. Les néons projetaient leurs lueurs sur les passants, lui permettant de ne pas perdre l'homme saoul qui venait de tourner dans une petite ruelle. Un sourire mauvais étira ses lèvres sous le masque en tissu cachant son visage. Elle accéléra le pas. Evita deux salarymen sortant d'une maison de thé connue pour abriter bien d'autres services en ses murs. Quelques secondes plus tard, elle s'engouffra à son tour dans la rue étroite, laissant les ombres raffermir leur emprise sur sa silhouette.

Elle traquait ce policier depuis plusieurs jours. Ses connaissances lui avait fait part de leur "envie" de le voir disparaître. Ils n'avaient pas vraiment eu besoin d'en dire beaucoup plus, excepté son nom complet et ses habitudes. Elle ne savait pas réellement ce qu'il avait fait, et à vrai dire ça lui importait peu. Elle était partie rapidement, avait rassemblée les infos, prévenue sa femme qu'elle serait absente durant quelques nuits au bar, et s'était mise en route.

Et maintenant, maintenant que la traque se terminait enfin, elle allait pouvoir s'amuser un peu. L'homme ne se trouvait qu'à environ 10 mètres d'elle, et il lui faisait face, peu avenant. Elle se contenta d'avancer sans un mot, comme si elle n'était rien d'autre qu'une passante prenant un raccourci. Dans ses poches, ses doigts se serrèrent sur le manche de son couteau, caressant la nacre qui y était incrustée.

Elle s'arrêta lorsqu'il lui barra la route de son bras. Son haleine avinée lui frappa le visage alors qu'il se penchait vers elle du fait de sa taille plus grande que la sienne. Elle planta son regard dans le sien sans ciller.

- Oï ma jolie, ça te dirait de prendre un love hotel rien que pour nous deux ?

Elle retint de justesse un rire cynique. Dieu qu'elle haïssait ce genre de type...

Elle fournit sa réponse sous la forme d'un violent coup au niveau du plexus solaire, lui coupant le sifflet alors qu'elle activa son alter. Les fils de nylons s'échappèrent de ses poches, venant rapidement ligoter et bâillonner son adversaire. Elle l'observa se tortiller au sol et tenter de se libérer. Sans grande surprise, ça ne servit à rien. Le fil de pêche était trop solide pour ça.

Ne restait plus maintenant qu'à le tuer purement et simplement. Ce qui fut un jeu d'enfant. La lame de son couteau trancha la gorge sans problème, et, rapidement, l'odeur métallique du sang empesta l'atmosphère, le corps se retrouvant bientôt au milieux d'une mare rouge. Elle secoua les fils avant de les ranger et de partir rapidement. Cette ruelle avait beau ne pas être trop fréquentée, elle ne donnait pas plus de deux heures avant qu'un passant n'alerte les autorités.

Voire beaucoup moins. Ses yeux se stoppèrent net sur la silhouette présente à l'autre bout de la ruelle. Et merde. C'était bien sa veine ça, qu'un témoin débarque alors qu'elle venait tout juste de finir son affaire. Un grognement s'échappa de ses lèvres. Elle allait soit devoir tuer une autre personne ce soir, soit trouver un moyen de le faire taire sur ce petit... incident. En espérant que la dernière option l'emporte.

Elle observait le témoin involontaire de la scène en silence, observant sa gestuelle. Il avait sorti les mains de ses poches, et gardait la tête baissée, une capuche couvrant ses cheveux et l'empêchant de détailler les traits de son visage. Elle ne put s'empêcher d'hausser un sourcil. Intéressant.

Elle s'avança vers lui, lentement. Elle n'avait aucune idée de l'alter de son adversaire, et elle avait connue trop de situations à la con pour ne serait-ce qu'oser imaginer qu'elle aurait le dessus. Ses fils de nylon se glissèrent dans l'obscurité, allant vers le jeune homme, plus dans une volonté de l'immobiliser qu'autre chose. Silencieusement, elle bénit l'absence de néons. Le nylon avait beau être transparent, il n'était pas invisible, et une source de lumière pouvait les souligner et ainsi griller leur emplacement. Une des nombreuses raisons pour lesquelles elle préférait travailler de nuit.

Machinalement, elle tira légèrement sur sa capuche, l'enfonçant un peu plus sur sa tête. Elle s'était encore un peu plus rapprochée du témoin involontaire. Elle avait vu juste en le voyant comme un jeune homme. À le voir de plus près, elle ne lui donnait pas plus de la vingtaine. Une vingtaine qui, si elle s'en référait à ses habits et, surtout, à son physique, n'avait pas été rose. Il était maigre, trop pour que ce soit simplement du fait de son métabolisme, mais sa carrure lui hurlait de se tenir à une distance raisonnable. Il la dépassait d'au moins une tête, et sa largeur d'épaule laissait entendre, malgré son côté frêle, la puissance qui y sommeillait.

Elle pencha légèrement la tête, son iris clair scrutant le visage masqué par les ombres. Elle n'avait pas dis un mot depuis qu'elle l'avait remarqué. Tout comme lui était resté muet. Elle gardaient ses fils cachés, prête à les utiliser pour l'immobiliser.

Ou pour l'arrêter si jamais il tentait de lui sauter dessus.

Mais qui sait, peut-être qu'ils n'en arriveront pas jusque-là.

- Tu sais garder le silence ?

Sa voix était froide, calme. Elle n'avait pas réellement besoin d'expliciter la menace. Après tout, ce qu'il venait de voir était suffisant.

Sa menace n'avait de toute évidence pas vraiment plu au môme qui se tenait devant elle. Elle n'en avait vraiment pas grand chose à faire. Tout ce qu'elle voulait c'était une réponse sur laquelle baser ses prochaines actions. Il ne la connaissait pas, et au vu du nombre de gens vivant à Tokyo, il était peu probable qu'ils se recroisent un jour si jamais ils décidaient d'en rester là. À moins qu'il ne vienne se mêler des affaires louches de la ville mais, là encore, le monde du crime était grand. Et à part son œil, et sa voix étouffée par le masque qu'elle portait, il n'avait pas grand chose pour la reconnaître.

Il lui répondit d'une voix grave, suave. Un soupir s'échappa de ses lèvres. Elle voulait en finir au plus vite, et voilà qu'elle se trouvait face à quelqu'un qui avait décidé de la faire chier. C'était bien sa veine, vraiment. Mais bon...

- Et comment je pourrais t'en donner envie ?

La question était sincère. Elle se doutait que si jamais les choses tournaient mal, il y allait avoir combat. Or, elle n'avait aucune info sur ce gars quand à ses compétences ou son alter, et il était hors de question qu'ils rameutent plus de témoins en faisant du vacarme.

Elle contrôlait toujours ses fils et se tenait prête à les utiliser sur ses chevilles et ses poignets. Il devait y avoir une raison pour qu'il ait sorti ses mains en la voyant. Peut être que son alter s'y trouvait ? En tout les cas, si jamais il l'attaquait, c'était les premières cibles qu'elle visait.

Elle attendit sa réponse, gardant une distance de sécurité respectable entre eux. L'odeur du sang se faisait de plus en plus forte. Non loin d'eux, elle entendit un chat miauler, puis le bruit de course d'un rat. Pour le moment, ils étaient toujours les seuls humains présents. Et elle espérait que cela dure encore un petit moment.

Elle vit que sa question avait fait mouche. Ce qui était une bonne chose au vu de la tension qui régnait entre eux et qui menaçait de se changer en tout autre chose à la moindre étincelle. Elle l'observa retirer sa capuche et lui montrer enfin son visage. Ses cheveux et ses yeux l'intriguèrent. Il était rare de rencontrer des personnes avec de tels attributs. Difficile de placer une origine exacte, si jamais il en avait une, mais du japonais type il n'avait pas gardé grand chose. Quant à son expression... Définitivement un môme à ne pas prendre à la légère. S'il était encore en vie devant elle en se promenant avec une telle gueule, c'est qu'il devait assez bien cacher son jeu.

Elle se retint de lever les yeux au ciel à sa première réponse. Elle préférait demander directement ce que les gens voulait, ça évitait de partir sur des fausses pistes. Et au moins elle savait à quoi s'en tenir. Un toit et un lit pour cette nuit contre une promesse de silence ? Ça lui allait parfaitement. Elle connaissait quelques planques sous le contrôle de ses protecteurs, planques qui en plus avait le bon goût de se trouver pas trop loin. Elle n'aurait qu'à les prévenir de son arrivée, et ce serait terminé.

Elle l'observa ranger ses mains dans les poches, sentit la tension retomber légèrement. Ce ne fut cependant pas suffisant pour qu'elle ramène ses fils à elle.

- Je connais une maison pas loin. Discrète. Dis simplement que tu viens de la part d'Ankoun, et le gars devant l'entrée te laissera passer.

Elle ne lui passa pas de plan. D'un parce que si jamais il se faisait chopper par les flics, ça faisait une trace vers elle et ses commanditaires, et de deux... De deux parce qu'elle ne savait pas si ce môme saurait déchiffrer ses pattes de mouche apparemment quasi illisibles.

Elle ne l'informa pas que la maison était sensée être inhabitée. Vu l'heure, et vu le voisinage, personne n'ira cafter aux flics qu'un drôle de gus s'est introduit dans la maison. Son nom serait suffisant pour lui garantir une nuit tranquille et une paix quasi royale de la part des gars.

Froidement, elle lui indiqua la route. En dix-vingt minutes à pied il pourrait y être, voire moins au vu de sa carrure.

Kuroba se retint de grogner lorsqu'il lui demanda ce qu'il y avait sous son masque. Elle comprenait parfaitement pourquoi il lui demandait ça. Et il lui avait montré son visage. Sans un mot, elle enleva l'élastique de son oreille droite, laissant le carré de tissu dévoiler ses traits. Elle ne le laissa l'observer qu'une minute, le remettant aussi sec une fois qu'elle estima que le délai avait été écoulé. Elle n'avait pas grand chose d'un monstre, tout comme lui. Moins que lui même. Sa carrure laissait plus souvent penser qu'elle était une proie qu'un prédateur. Ça lui convenait. Les gens avaient tendance à la sous-estimer et à lui rendre le boulot plus facile.

- Autre chose ?

Elle l'écouta exposer sa méfiance, somme toute logique vu la situation. Le gosse était loin d'être con.

- Je suis Ankoun. Le gars est un de mes "associé".

Elle n'envoyait jamais qui que ce soit à ses protecteurs si elle pouvait gérer la situation elle-même. Pour tout dire, ce devait bien être la première fois qu'elle leur refourguait quelqu'un dans les pattes.

Elle le jaugea un peu plus. Son instinct lui soufflait qu'il était dangereux, bien plus que sa bouille angélique ne le laissait supposer. En soi, c'était un atout. Pouvoir endormir la méfiance d'autrui n'était pas donné à tout le monde, et se faufiler sans attirer les regards également.

- Tu cherches un toit de manière assez permanente ?

La question était sortie sans plus d'avertissement. Plus elle y songeait, plus elle pouvait voir ce qu'il pouvait amener aux amis de son père. Si son alter était puissant, comme elle le supposait, cela valait sans doute mieux qu'ils gardent un œil sur lui. Déjà qu'il n'allait pas leur échapper de sitôt au vu de comment il s'était retrouvé mêlé à son assassinat...

Elle ne prit même pas la peine de réagir à son sarcasme, le laissant la juger de tout son saoul. Les apparences étaient trompeuses, et il devait le savoir, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir des idées assez arrêtées. Ce qui était normal, au vu de l'âge supposé du môme. Elle devait presque avoir le double de son âge, aussi ce genre de façade l'indifférait royalement. Mieux valait prendre tout le monde comme une menace potentielle plutôt que de se retrouver dans la merde. Une des raisons pour laquelle elle gardait ses distances et ses fils à disposition.

La réponse du môme à sa question la fit très légèrement sourire sous le masque.

- Va à cette adresse. Si tu veux avoir un toit assez permanent, et que tu es prêt à te salir les mains, dis juste que tu passes le bonsoir à la veuve.

Elle enfonça un peu plus sa capuche sur la tête. Pour elle, la discussion se terminait là. Qu'il prenne cette proposition ou pas, ce n'était pas son problème, mais le sien. Elle n'était pas à sa place, n'avait aucune putain d'idée de ce qui se tramait derrière sa petite caboche. À lui de voir ce qu'il en faisait.

- Maintenant tu m'excuses, mais je préfère y aller. On se reverra peut-être si tu passes le mot.

Elle passa à côté de lui rapidement, prenant garde à laisser le plus de distance possible entre eux, avant de tourner et de partir, ses fils revenant rapidement dans ses poches. Elle sortit son portable et s'empressa d'envoyer un sms au gars présent non loin de la planque, continuant son chemin un moment, disparaissant dans les ruelles sombres du quartier.

Il ne fallut qu'une poignée de secondes avant qu'on ne réponde à son message par un appel. Un soupir désabusé traversa ses lèvres alors qu'elle finissait d'engloutir une barre chocolatée. Elle décrocha rapidement, plaquant le téléphone contre son oreille alors qu'elle se noyait dans la foule.

- Tu m'expliques c'est quoi ces conneries miss ?

Elle retint de justesse un grognement avant de répondre rapidement, exposant la situation de manière aussi concise que fluide. Le ton ne monta pas vraiment. L'homme à l'autre bout la connaissait maintenant depuis un moment, et même si entre eux ce n'était pas la franche rigolade, au moins ils pouvaient vaguement compter l'un sur l'autre et avaient assez de respect entre eux pour ne pas traiter l'autre d'incompétent notoire.

- Et tu crois vraiment que ce môme peut nous servir ?

- Je pense oui. C'est pas tout les jours qu'on croise un mioche qui ne s'enfuit pas après avoir vu un meurtre. Et qui admet de lui-même qu'il n'hésiterait pas à tuer pour qu'on lui foute la paix.

Un léger silence s'installa entre eux.

- Je vois... J'verrai bien si ce môme en vaut la peine de mon côté.

Elle se contenta d'acquiescer vaguement avant de raccrocher. Elle avait encore pas mal de chemin à faire avant de rentrer chez elle.

L'homme grommela de vagues injures avant de s'étirer. C'était bien sa veine, mais d'un autre côté, ça lui faisait un peu de nouveauté. Cela faisait un petit bout de temps qu'il surveillait la maison, histoire que des fouineurs ne s'en approchent pas trop.
L'attente ne dura pas bien longtemps, et il ne tarda pas à voir la silhouette du môme s'approcher. Il correspondait à la description de l'assassin, maigre, grand, une attitude assez sombre pour un mioche de son âge, des cheveux blancs et des habits en mauvais état.

- M'a prévenu. Entre.

Il le laissa passer, le disséquant du regard un peu plus. Elle n'avait pas tord sur le potentiel que ce gamin avait. Il puait la mort. Au sens propre comme au sens figuré.

Il lui indiqua rapidement la chambre avant de le laisser, reprenant son activité première de surveillance une cigarette au bec. La lumière froide des lampadaire permettait de voir quelques bouts de ses tatouages, ces derniers se trouvant pour la plupart cachés par ses vêtements. Il prévint rapidement le boss de la situation, ainsi que la description du mioche. Qu'il le veuille ou non, il était maintenant dans leur ligne de mire. Et qu'il accepte ou non la proposition de la jeune femme n'y changerait rien.